Escrime, guerre et armement
La poliorcétique et ses conséquences sur l'art castral aux XIIe et XIIIe siècles

Les origines des romains au IXe siècle

Les armées romaines ont poussé l'art de la poliorcétique comme jamais personne ne l'a fait avant eux. Elles ont mené des sièges de grande envergure, comme Alésia, Carthage ou encore Massada pour ne citer que ceux-là ! Les Romains ont développé, mis au point et amélioré de nombreuses machines de guerre. En Europe, cet art et toutes les techniques qui y sont liées sombreront dans l'oubli pour longtemps à la chute de l'Empire au Ve siècle.

Ainsi en 585, Grégoire de Tours parle de brûlots et de mantelets mobiles d'un modèle fort simple lors du siège de Comminge. Devant Angers en 873, Charles le Chauve fait appel à des ingénieurs byzantins qui utilisent, selon les dires de l'époque, des « machines nouvelles et raffinées ». Tellement raffinées qu'elles seront inefficaces ! Il faudra détourner une rivière pour pouvoir prendre la ville.

Lors du siège de Paris par les Normands en 886, les Parisiens fabriquent une machine de guerre. Mais laissons la parole à l'évêque Abbon : « avec des poutres accouplées et d'égale longueur, les défenseurs confectionnent ce qu'on appelle des mangonneaux, engins lançant des pierres immenses ». La phrase ne nous éclaire pas vraiment. Mais c'est la plus vieille mention connue du terme mangonneau (mangana). Cependant, il faut nuancer les propos de l'évêque. Les pierres ne sont probablement pas si grosses : le chroniqueur cherche à encenser les défenseurs, exagérer n'est pas mentir.

Les mutations en marche


An Mil, château de bois et terre

Jusqu'au XIIe siècle, les sièges ne mobilisent qu'une poignée d'hommes contre des ouvrages le plus souvent réalisés avec de la terre et du bois, aux garnisons peu nombreuses. Dans ces conditions, pourquoi et surtout comment utiliser et développer de puissants et fort coûteux moyens d'attaque ?

Songez que Guillaume le Conquérant assiège le vicomte de Beaumont enfermé dans Sainte-Suzanne durant quatre années (1083-1087). Guillaume a même fait construire un château de terre et de bois dont les circonvellations sont encore visibles en contrebas de la ville. De là, il lance ses assauts et tente d'empêcher le ravitaillement des assiégés. Mais rien n'y fait, la place ne se rend pas ! Ce fut la seule place forte qui résista au plus puissant des ducs de Normandie...

Les fortifications de pierre aux Xe et XIe siècles

Les places fortes en pierre sont encore rares au Xe, mais elles ne sont pas inexistantes. Il s'agit souvent de constructions romaines plus ou moins modifiées comme le château d'Adonne (Villejoubert dans les Charentes), qui servit de résidence au comte d'Angoulême au Xe. Ou encore les remparts de Carcassonne ou du Mans construits par les romains et utilisés durant toute la période médiévale et encore visibles aujourd'hui. Parfois, comme à Doué-la-Fontaine, on emmotte un bâtiment préexistant et on le surélève.


Mur romain réutilisé à l'époque médiévale


Château Gouzon, donjon à contrefort plat XIe agrandi au XIIIe, les différentes phases de travaux sont encore bien visibles sur la façade

À partir des XIe-XIIe siècles l'Europe va connaître un essor sans précédent. Il y a moins de seigneuries, elles sont plus grandes et l'autorité du roi devient plus importante. L'évolution des techniques, entre autres agricoles, provoque une augmentation rapide de la population. Les gens cherchant du travail quittent les campagnes pour aller en ville : de ce fait l'industrie et l'artisanat se développent ainsi que l'économie qui deviendra florissante au XIIIe siècle. Les croisades auront un impact non négligeable sur l'évolution scientifique et technique de ces époques, ainsi les Francs apprennent beaucoup sur l'art castral et la poliorcétique au contact des Arabes.

Au X-XIe, l'utilisation de la pierre pour les nouvelles constructions se limite souvent à la tour maîtresse encore appelée donjon. C'est à Loches que l'on trouve le modèle le plus aboutit. Les analyses dendrochronologiques (datation par analyse des restes de bois) ont montré que la première phase de la construction se situe aux environs de 1010 à 1035. Mais ces édifices demeurent l'apanage des seigneurs les plus riches qui ont un goût prononcé pour l'ostentation...

À partir du XIIe siècle, on redécouvre les traités d'art militaire romain comme ceux de Végèce datant de la fin du IVe siècle. Ainsi en 1151 Geoffroy IV Le Bel comte d'Anjou, dit Plantagenêt assiège le château de Montreuil-Bellay. Durant les opérations, il lit Végèce et met à profit ses enseignements pour confectionner un projectile incendiaire.

La mise en place de pouvoirs royaux forts en France et en Angleterre va générer progressivement des luttes entre Capétiens et Plantagenêt. Dès 1160, l'évolution de l'art castral est sensible sur les terres des Plantagenêt. L'affrontement est inévitable à partir de 1180, date de l'accession au trône de France de Philippe II, dit à juste titre Auguste. Dès 1157, Henri II instaure l'écuage qui permet à un vassal de s'affranchir du service militaire moyennant une pénalité financière. Cela permettra de payer des mercenaires encore appelés routiers afin d'épauler l'ost royal.

Philippe comprend vite que s'il veut conserver ses conquêtes, il lui faut construire des places fortes, qui lui permettent aussi de matérialiser son pouvoir. L'importance croissante des mercenaires et des armées professionnelles provoque de nombreux changements. À commencer par une modification radicale de l'art castral qui va subir une évolution fulgurante afin de s'adapter à la renaissance de l'art de la poliorcétique. À partir de la seconde moitié du XIIe siècle, l'artillerie, pour ainsi dire délaissée depuis les romains, est remise au goût du jour. Dès lors, la construction d'un château n'est plus à la portée de toutes les bourses... Ainsi Château Gaillard a coûté 50 000 livres à Richard Coeur de Lion en 1198, ce qui représente plus de la moitié des 98 193 livres que lui rapporte la Normandie ! Les places fortes de Philippe Auguste, coûtent de 1 200 à 2 000 livres. Quand on sait que les forêts royales de France rapportent 7 080 livres au souverain entre 1202 et 1203, on comprend facilement que seuls les rois ou les grands féodaux peuvent désormais se lancer dans la construction d'un château important.

L'art castral Philippien
Les effectifs des armées royales sous Louis VI et Philippe II

À titre de comparaison, voici les effectifs de Louis VI au combat de Brémule (bataille contre Henri Ier d'Angleterre en 1119) et ceux de Philippe II 85 années plus tard, en 1204.

Louis VI ne dispose que de 400 chevaliers et d'un certain nombre de sergents estimés à 3 500 ou 4 000 hommes d'après les effectifs de l'époque de Louis VII.

Philippe Auguste dispose de 8 054 sergents appartenant aux milices urbaines (chiffres d'après : " la prisia serventum ") et mobilisables en cas de besoins. Son armée permanente en temps de paix compte 3 043 hommes répartis comme suit : 257 chevaliers, 267 sergents à cheval, 86 arbalétriers à cheval (solde 5 sous par jour), 133 arbalétriers à pied (solde 18 deniers par jour, leur équipement complet coûte 3 livres tournois), 2 000 sergents à pied, 300 mercenaires ou routiers. En temps de guerre ce nombre s'accroît des contingents féodaux qui en 1216 totalisent 800 chevaliers, ce qui nous donne 11 097 hommes tous effectifs confondus en théorie, sans compter les contingents de routiers !

En 85 années, l'évolution des effectifs est pour le moins significative !

À titre d'information en ce qui concerne l'argent, 12 deniers valent 1 sous ou gros et une livre vaut 240 deniers donc 20 sous, une obole vaut ½ denier. À l'exception de la livre (unité fictive) toutes les autres correspondent à un type de pièce.

Philippe Auguste avec sa rigueur coutumière optimisera et standardisera la construction des places fortes royales. « Sicut Rex divisit » cette phrase qui signifie, « ainsi que le roi l'a déterminé » figure souvent sur les actes ordonnant la construction d'un château. Le roi s'entoure d'architectes dont on retrouve parfois la trace sur plusieurs chantiers. Ainsi maître Guillaume de Flamanville supervisera la construction de Montdidier (dans la Somme), de Melun (Seine-et-Marne), Evreux et Pont-de-l'Arche (Eure). La bibliothèque du Vatican conserve des devis provenant du cartulaire de Philippe Auguste rédigé entre 1204 et 1212. Ces devis qui concernent quatre constructions différentes frappent par leur uniformité et la précision des détails de construction. La seule chose qui varie, c'est le coût de la main-d'œuvre en fonction des différentes régions.

Dourdan, bâti en 1220, est le château le plus abouti de Philippe Auguste. C'est probablement la dernière forteresse qu'il ait fait bâtir : cette place forte résume à elle seule les progrès militaires de son règne. C'est l'ensemble le mieux conservé de la longue série de constructions ordonnées par ce roi, qui diffusa un nouveau modèle de châteaux entre 1190 et 1220. Le château se compose d'une enceinte de 70 mètres de côté, défendue sur trois angles par des tours circulaires de 9 mètres de diamètre, le quatrième étant défendu par un donjon de 13,6 mètres de diamètre et 25 mètres de haut. Le milieu de toutes les courtines, à l'exception de celle abritant la porte, est défendu par une tour semi-circulaire. La porte est protégée par le châtelet d'entrée composé de deux tours circulaires et d'un bâtiment truffé de pièges en tous genres : assommoirs, meurtrières latérales, portes, herse... Les bâtiments et les communs sont placés au revers des courtines et forment une cour carrée. Les fossés font 12 mètres de large et sont équipés d'une contre-escarpe maçonnée, les courtines mesurent 10 m de hauteur.


La tour maîtresse de Dourdan est le parfait exemple de donjon Philippien :
une tour circulaire séparée de la place par un fossé et pourvue d'un accès côté place et d'un côté campagne.
À noter la petite ouverture au-dessus de la porte, il ne s'agit pas d'une embrasure de tir
mais du passage de la chaîne de manœuvre du pont-levis à treuil du début XIIIe siècle.

Les forteresses royales comme Dourdan sont souvent équipées d'un donjon isolé du reste du château, communiquant avec l'extérieur par un pont-levis. On voit là toute la rigueur de Philippe II qui au contraire de Richard Coeur de Lion n'a pas le goût de l'ostentation, mais de l'efficacité. Il privilégie la solidité et la force au détriment de la puissance de tir.

Néanmoins le style Plantagenêt n'est pas en reste et fera aussi preuve d'une grande création comme on peut le voir à Gisors et à Loches.

La poliorcétique aux XIIe et XIIIe siècles
Les archères et leur efficacité

À la fin du XIIe, les constructions se caractérisent par une défense active qui cherche à assurer un flanquement efficace des édifices. Les tours circulaires se systématisent. Dès la seconde moitié du XIIe, les archères (connues dès l'antiquité) participent aussi à cette défense active. Leurs formes sont multiples mais quelle est leur efficacité réelle ? Ce sujet est source de débats. Mais les tests en grandeur réelle montrent la probabilité importante de pénétration par un tir ennemi. Le défenseur doit donc se protéger. Lorsqu'une archère encore appelée arbalétrière est munie d'un croisillon ou d'un étrier, il n'est utilisable que pour mieux apercevoir ce qui se passe à l'extérieur. Il est impossible de pouvoir viser depuis une archère, on pratique le tir à l'aveuglette, dans le tas. Les archères semblent être utilisées pour défendre un point précis soumis à un assaut. Elles ont plus un rôle dissuasif voire ostentatoire, ainsi elles atteignent parfois une hauteur démesurée, et inutile comme à Najac. Il est intéressant d'observer que dès 1200 les Plantagenêt produiront de nombreux types d'archères équipées de dispositifs sensés faciliter le tir et la visée au dire de certains de nos contemporains. Or ces dispositifs ne seront généralisés sur les forteresses royales qu'à partir de la fin du XIIIe ! Il faut donc croire que leur efficacité n'était pas prouvée à l'époque, sinon elles se seraient généralisées beaucoup plus vite comme le modèle castral Philippien qui s'est répandu en moins de trente ans...

L'archère présente le défaut majeur de fragiliser les murs. Aussi les architectes de Philippe Auguste privilégient les petites archères qui ne permettent qu'un tir peu commode et unidirectionnel. Au contraire des architectes Plantagenêt qui privilégient la puissance de feu en s'inspirant des Romains et des Byzantins avec l'utilisation des archères à niche, plus commodes pour utiliser l'arbalète et offrant un angle de tir plus important. Tout n'est qu'affaire de compromis entre efficacité, robustesse et ostentation.

Cependant un siège coûte excessivement cher et seuls les plus fortunés peuvent se l'offrir. Dans la plupart des cas, on privilégie la ruse ou la traîtrise pour s'emparer d'une place forte ! Ainsi en 1098 lors du siège d'Antioche, Bohémond de Tarente soudoie un dénommé Firouz qui donne l'accès de la ville aux croisés. Lorsque la ruse ou l'attaque surprise échoue, on peut tenter d'écourter le siège en utilisant l'arme psychologique. Devant Nicée en 1097, les croisés expédient les têtes de leurs prisonniers dans la ville en utilisant les machines de guerre ; la ville se rendit au bout de sept semaines. Le 21 juillet 1209, les hommes de Simon de Montfort massacrent la population de Béziers pour avoir osé leur résister. À la suite de ce carnage, de nombreuses places se rendront sans combattre lors de la croisade des Albigeois.

Parfois cette arme est utilisée de façon beaucoup plus subtile : ainsi en 1285, le sultan Qalaoun, au château de Margat (le Marquab), décida de faire constater l'état d'avancement des travaux des sapeurs à un groupe d'assiégés venus parlementer. Le lendemain la place capitulait après cinq semaines de siège...

Les machines pilonnent parfois un point stratégique qui rend le siège beaucoup plus rapide tout en évitant un assaut. En 1210, les croisés de Simon de Montfort assiègent la ville de Minerve que sa position naturelle rend inexpugnable. Aussi les machines pilonnent-elles la ville. L'une d'entre elles prend pour cible et détruit le passage fortifié qui donne accès au point d'eau de la cité, les arbalétriers font le reste et la ville se rend en sept semaines.

Le siège d'une place forte se divise en quatre phases : le blocus, les travaux d'approche, l'affaiblissement des défenses (le pilonnage à la machine de guerre) et enfin l'assaut. Mais cela reste purement théorique. En réalité ces phases sont entremêlées et entrecoupées d'assauts et d'escarmouches.

Le blocus, encore appelé investissement

Cette méthode est utilisée pour les places très difficiles voire impossibles à prendre d'assaut. Le but de cette manoeuvre est d'empêcher l'arrivée de renforts et de vivres dans la place ainsi que de stopper toute sortie. Il faut donc se protéger des deux côtés. La sortie est une opération désespérée et fort risquée. En 1153 lors du siège de Nicosie par Renaud de Châtillon, Jean Comnène, neveu du Basileus accompagné d'un général nommé Branas tentent une sortie à la tête de leurs troupes. Mal leur en prit, les troupes de Renaud les culbutèrent et s'engouffrèrent dans la ville avant que les assiégés n'aient pu refermer les portes. Le siège de Château Gaillard en 1204 est l'un des meilleurs exemples de blocus. Après des manoeuvres d'approche rondement menées, Philippe Auguste fit réaliser une double ligne de circonvellations renforcée par des palissades et quinze tours de bois. Le siège dura huit mois ! Inutile de dire que de véritables villes de sièges se créent. Les sergents se font des baraquements et des huttes afin de s'abriter (Guillaume le Breton, chapelain de Philippe II), parfois s'y tiennent des marchés comme lors du siège d'Ascalon en 1153 durant les croisades.

Mais du fait du coût et du manque d'effectifs, le blocus est rarement complet. On se contente alors de bâtir des fortins appelés redoutes, bretèches ou bastilles. Ainsi en 1099 lors du siège de Jérusalem, les croisés se contentent d'établir un camp en face de chaque porte de la ville : ce qui rend impossible toute arrivée massive de vivres ou de renforts pour les assiégés. Ces redoutes sont parfois de véritables petits châteaux de pierre comme la tour du Ramstein édifiée en 1293 lors du siège de l'Ortenberg en Alsace.

Lorsque les assiégés sentent le danger venir, ils ont pour habitude de faire la razzia sur les terres alentour afin de récupérer toute la nourriture possible. Ce qu'ils ne peuvent emporter, ils le détruisent. Parfois ils empoisonnent les puits, comme le général Iftikhar al Dawla qui commande la défense de Jérusalem en 1099. Si les assiégés ne pillent pas les alentours, leurs adversaires s'en chargent pour s'approvisionner et éviter toute tentative de sortie pour faire du ravitaillement.

Mais n'allez surtout pas vous imaginer que de tels faits sont propres aux croisades ! Ainsi durant le XIIIe siècle (l'admirable XIIIe, la fin du vrai Moyen Âge comme le dit l'historien Georges Bordonnove) le Comte de Champagne dut affonter une coalition de barons. Dans ces mémoires le Sire de Joinville affirme : " les barons avancèrent d'un côté, en brûlant et en détruisant tout... " Le désespoir du comte de Champagne fut tel qu'il donna l'ordre d'incendier ses propres villes afin que ses adversaires ne trouvent ni abri ni nourriture. Epernay, Vertus et Sézanne partirent ainsi en fumée...

Les travaux d'approche


Exemple de mantelet

Cette phase peut être liée à la phase d'affaiblissement des défenses par les machines de guerre. Mais elle peut aussi être menée seule dans des conditions beaucoup plus périlleuses. En effet, si les machines ont pu détruire les hourds, les créneaux et les parapets aux bons endroits, les travaux d'approche sont grandement facilités, les assiégés ne pouvant que très difficilement défendre la courtine sans s'exposer aux tirs des arbalétriers protégés par des mantelets (palissades de bois montées sur roues). Parfois une tour d'assaut est approchée à portée de tir des remparts afin de couvrir les travaux d'approche. De ce fait, les équipes qui doivent combler les fossés, ainsi que les sapeurs, peuvent s'approcher plus facilement de leur objectif. Ces opérations demeurent cependant fort périlleuses.

Le bélier

Cette arme est connue depuis l'antiquité par les Assyriens, les Grecs et les Romains, pour ne citer qu'eux ! Elle est constituée d'un tronc d'arbre dont l'extrémité peut être renforcée par des ferrures. On le suspend à une charpente de bois par deux grosses cordes ou deux chaînes. Les servants, en tirant en cadence sur des cordes liées au tronc, lui impulsent un mouvement de va-et-vient propre à détruire les portes. Dans le but de protéger les hommes, la charpente est couverte par un toit à forte pente afin de limiter au maximum la puissance d'impact des projectiles divers et variés lancés du haut du rempart. Il est clair que l'enluminure N°1 manque de réalisme, les hommes sont sous la charpente et non derrière.


Barbacane des années 1230-1240
du château de Fougère.
Le passage voûté de la tour porte
est défendu par deux herses formant un sas.
À noter le nombre
d'archère équipant cette tour !

Les assiégés tentent de détruire le bélier en utilisant toute sorte de projectiles incendiaires. En aucun cas on utilise d'énormes chaudrons d'huile bouillante, pour des raisons techniques et financières. Pour protéger la charpente, celle-ci est recouverte de peaux de bêtes fraîchement écorchées et abondamment arrosées. Pour tenter de limiter les effets du bélier, les assiégés descendent avec des chaînes ou des cordes de gros sacs remplis de paille ou de laine qu'ils interposent entre la porte et la tête du bélier. Parfois ils se contentent de jeter de la terre et de la paille. Il arrive qu'ils tentent d'attraper la tête du bélier avec des chaînes ou une sorte de crochet appelé louve comme dans notre exemple (enluminure N°1). À cause du bélier la porte est considérée comme un point faible depuis l'antiquité. À cette époque on l'encadre souvent entre deux tours afin d'assurer un bon flanquement (porte Nigra à Trêves). À la chute de l'Empire Romain ce mode de construction tombera en désuétude en même temps que l'art de la poliorcétique. Au XIe siècle, il est courant que la porte soit bâtie dans une tour, le plus souvent rectangulaire : c'est le concept de tour porte. Durant les XIe et XIIe siècles, la porte est uniquement barrée par une paire de solides vanteaux. Mais à partir du dernier quart du XIIIe, l'usage de la herse se généralise. L'espace formé entre la porte et la herse est souvent défendu par un ou plusieurs assommoirs qui permettent un tir à la verticale depuis la chambre de manoeuvre. Des archères placées à hauteur d'homme complètent parfois le dispositif. À la fin du XIIe et au début du XIIIe siècle, on remet au goût du jour l'antique dispositif des deux tours encadrant la tour porte. Ces constructions deviennent de véritables châteaux que l'on nomme châtelets comme à Dourdan et Coucy. Au cours du XIIIe on double les herses ! (La Roche Guyon, Coucy...). On crée ainsi de véritables sas renforcés par les dispositifs habituels assommoirs et archères. Afin de rendre l'accès à la porte encore plus difficile, on abandonne progressivement le système du pont dormant que l'on détruit en cas de danger (si on en a le temps !). Aussi dès le XIIe siècle, on retrouve de nombreuses traces de pont levis à treuil (voir photo du donjon de Dourdan) sous forme d'archères où coulissaient les chaînes du tablier de l'entrée principale. Mais ce système demeure relativement lent. Aussi dans certains cas, l'arrière du tablier est doté d'un contrepoids qui facilite la manoeuvre et la rend plus rapide (tour maîtresse de Coucy). Ce dispositif présente l'inconvénient de nécessiter la construction d'une fosse derrière la porte. Le pont levis à flèches n'apparaîtra que vers 1360. Deux poutres en flèche rendent la manipulation rapide et aisée, sans nécessiter de fosse puisque le contrepoids est en hauteur ! Ce modèle se généralisera rapidement. Afin d'assurer une meilleure protection, on multiplie le nombre de portes et de fossés entre la première entrée de la place et l'entrée principale (Fougères première porte en 1180, renforcée par une deuxième en 1230, porte de Laon à Coucy 1230...). On crée ainsi de véritables nasses à vocation uniquement défensive. Dans ces ouvrages nommés barbacanes, tout intrus est exposé de toute part. Parfois la barbacane est si vaste que l'on y place les communs. On parle alors de basse-cours (Coucy XIIIe siècle). On peut aussi placer les portes de façon à rendre le bélier inutilisable sans gros travaux de terrassement (haute-cours du château de Najac, 1253, l'entrée est en surplomb et à angle droit !).

Les tortues, chats et autres vignes

Ces engins fort rudimentaires et déjà connus des romains sont composés d'une solide charpente qui reprend souvent les principes du bélier (toit incliné recouvert par des matériaux non inflammables). Ils permettent de s'approcher des fossés pour les combler avec de la terre et des fagots afin de préparer le terrain pour les tours roulantes ou les béliers... Parfois lorsque le sol est trop dur, on pousse l'engin jusqu'à la base du mur après avoir comblé le fossé et les sapeurs se mettent à l'ouvrage en s'attaquant directement à la muraille (à gauche sur l'enluminure N°1). Dans certains cas, on utilise ce que l'on appelle des chats, qui sont parfois défendus par une tour comme lors du siège de Mansoura en 1250 (lors de ce siège le but était de traverser une rivière sous le feu ennemi). Dans ce cas, on les appelle des chats châteaux. Le chat reprend le principe de la tortue mais c'est un véritable chemin couvert qui est construit afin d'offrir une protection maximale aux ouvriers ! Quand le terrain est plus favorable, on creuse une galerie appelée mine jusque sous les remparts (à droite sur l'enluminure N°1) en étayant soigneusement. L'avantage de cette technique est d'éviter d'approcher au plus près du rempart. Dans les deux cas, l'issue est la même : lorsque le travail est considéré comme suffisamment avancé, on entasse des fagots et quelques cochons au fond de la galerie et on enflamme le tout. La destruction des étais provoque immanquablement l'effondrement du rempart. Tout n'est qu'une question de temps lorsque les sapeurs se mettent au travail. La sape se généralise à partir de la fin du XIIe : les troupes de Philippe Auguste utilisent cette technique avec succès contre Boves, Château Gaillard, St Jean d'Acre et le Mans... Les mineurs encore appelés sapeurs ou taupins constituent des équipes de spécialistes très recherchés. Au début du XIIIe, ils sont payés 18 deniers par jour, autant que les arbalétriers !


Belle reconstitution de hourds (XIXe)
sur le château comtal de Carcassone

Les assiégés utilisent parfois de bonnes astuces pour se débarrasser des taupins. Ainsi en 1216 lors du siège du château de Beaucaire, les défenseurs éloignent les sapeurs ennemis en remplissant un sac fixé à une chaîne avec du souffre, de l'étoupe et des braises. L'ensemble est descendu à la base de la courtine où il dégage des gaz sulfureux irrespirables ! Ils tentent également de détruire les machines de guerre en lançant contre elles des pots remplis d'alquitram (poix ou goudron). La place ne se rendra qu'après treize semaines. Une autre solution consiste à construire un mur ou une palissade à l'intérieur de la place, afin de palier la brèche, comme lors du siège de Carcassonne en 1240. Durant le même siège, on fait état de l'utilisation de contre mine ! Mais ces deux dernières techniques nécessitent d'avoir une garnison nombreuse appuyée par des spécialistes pour assurer la défense durant les travaux. Or, dans cet exemple, on sait que Guillaume des Ormes, Sénéchal de la place, ayant connaissance des projets du vicomte Trencavel (le fils de Raymond-Roger) avait pris soin de pourvoir la place en nourriture et en matériel. C'est pourquoi ces techniques semblent avoir été peu utilisées, car toutes les places n'ont pas autant de moyens de défense qu'une place stratégique comme Carcassonne.

Les travaux des taupins sont si redoutables que les architectes doivent en tenir compte. Ainsi, il est conseillé de couvrir les mottes de plaques de pierre comme à Ferre-en-Tardenois et à Beynes ou de les supprimer. On bâtit parfois des places fortes concentriques à plusieurs enceintes (Carcassonne). Parfois, on chemise juste les ouvrages vitaux (Château-sur-Epte). Des talus larges rendent le travail des sapeurs plus difficile, on peut aussi renforcer les courtines par des arcs de décharges. Les tours rondes offrent l'avantage d'éviter les angles morts et une meilleure résistance à la sape. On peut aussi prendre soins de combler l'étage inférieur ou l'ensemble de l'édifice avec un blocage de pierre et de mortier afin de lui donner une meilleure stabilité (courtine du front sud de Loches)...

Afin d'améliorer la défense de la base des remparts, on utilise des hourds qui protègent efficacement les assiégés des carreaux d'arbalètes. Ces galeries de bois en encorbellement placées contre les remparts permettent aux assiégés de projeter toutes sortes de projectiles sur la tortue lorsqu'elle est suffisamment proche, y compris des projectiles incendiaires. Les hourds de bois sont employés dans les constructions maçonnées des XIIe et XIIIe siècles. Les châteaux de Carcassonne et de Culan en possèdent de beaux exemples. Mais les hourds résistent mal aux machines de guerre et demeurent relativement fragiles au feu. C'est pourquoi, on inventera les mâchicoulis qui ont la même fonction mais sont construits en pierre ! À partir de la seconde moitié du XIIe, les mâchicoulis sur contreforts font leur apparition (cathédrale fortifiée d'Agde dès 1173, tour maîtresse de Château Gaillard 1198). Ils présentent l'avantage de s'adapter facilement sur les anciennes constructions munies de contreforts. Les mâchicoulis alternés sont utilisés lorsque la portée entre deux arcs boutants oblige à placer une console entre eux (ensemble épiscopal du Puy-en-Velay début XIIIe). Et enfin la forme la plus aboutie, les mâchicoulis sur console dont l'utilisation se généralisera à la fin du XIIIe siècle. Cependant les hourds de bois garderont la prééminence durant la première moitié du XIVe siècle.

L'affaiblissement des défenses

L'arbalète à tour

C'est une grande arbalète montée sur un affût avec un treuil pour permettre son armement. Comme pour le modèle du fantassin, l'arc est en matériaux composites (bois, nerfs, tendons, cornes...), recouverts de cuir ou de parchemin cousu afin de protéger cet assemblage de l'humidité. Il faut deux hommes pour armer cet engin qui peut lancer des javelots à 300 mètres de distance ! L'utilisation de cette arme inventée par les romains semblent réapparaître dès le XIe siècle. Au musée d'art et d'histoire de Belfort, on peut voir un carreau d'arbalète à tour découvert lors des fouilles du château de Rougemont (détruit au milieu du XIVe siècle). Il pèse 156 grammes pour une longueur de 147 mm. La puissance de ces armes semble très importante. Certaines chroniques parlent de machines capables de traverser plusieurs hommes : exagération ou vérité ? Elles parlent aussi de trait enflammé. Ainsi le sire de Joinville, compagnon de Louis IX à la croisade, nous apprend que les musulmans utilisent des traits garnis d'étoupe imbibée de matière inflammable.

Le tonnelon

Au second plan à droite du château sur l'enluminure N°1, on peut voir une machine nommée tonnelon. Certains voient cet engin comme une arme qui servait à placer des tireurs dans une nacelle souvent composée d'un tonneau d'où son appellation. La nacelle est reliée à une longue perche fixée à un mat par un pivot. Des hommes au sol levaient la nacelle plus haut que les remparts en tirant sur des cordes. L'hypothèse des tireurs embarqués semble peu probable, car on ne peut pas en embarquer assez pour être efficace ! De plus, ils font une cible facile pour les assiégés. Et comment est-il possible de recharger une arbalète dans un tonneau ? Plus sérieusement, on peut supposer que c'est un bon moyen d'observation pour voir ce qui se passe dans la place et éventuellement pour ajuster le tir des machines qui prennent pour cible des objectifs non visibles de l'extérieur. Cet engin est donc placé hors de portée des arbalètes. D'ailleurs sur notre exemple les passagers ne sont pas armés.

Les machines à balanciers

Cette famille regroupe des engins de types et de puissances très variables. Il est difficile d'attacher un nom précis à chaque type de machines, tant les appellations sont nombreuses et variées : biffa, lapisdica machina, machinetum manga, trabatium, manganellus, manganum, petraria, tormentum, trabucium... Les machines les plus puissantes portent souvent des sobriquets comme la célèbre Mal Voisine utilisée lors du siège de Saint-Jean d'Acre en 1191. Dans les descriptions qui vont suivre, les performances des machines indiquées sont basées sur des reconstitutions du XXe siècle. Car comme nous le verrons ces engins sont fort complexes et nous ne savons presque rien des performances de l'époque.

Les machines à traction humaine


La bricole est une machine à
traction manuelle : elle peut servir
à défendre un rempart ou un camp
Extrait d'une bible française de 1250

Ce sont vraisemblablement les machines les plus anciennes utilisées au Moyen Âge. C'est probablement ce type d'engins qui fut utilisé lors du siège de Paris en 886. En fait, ce sont les ancêtres du mangonneau, on les nomme pierrière ou bricole, ou tout simplement « machine à traction humaine ». Elles permettent de lancer des projectiles de 3 à 15 kilogrammes, à une petite centaine de mètres maximum. Ce qui explique qu'elles sont plus souvent utilisées pour la défense des places fortes ou des campements. Il faut huit à seize hommes pour la manipuler et la cadence de tir est de l'ordre de la minute. Un homme se suspend parfois à la fronde pour donner un effet d'accélération et un maximum de puissance au tir.

L'artillerie lourde

Les mangonneaux et les trébuchets sont les machines les plus puissantes jamais utilisées jusqu'à la mise au point de l'artillerie à poudre. En 1285, Aegidius Colonna dit Gilles de Rome, rédige un traité De Regimine Principum dans lequel il décrit clairement ce genre d'engin : « dans ces machines il y a une verge, qu'on élève ou qu'on abaisse au moyen d'un contrepoids, à l'extrémité de laquelle est une fronde pour jeter la pierre ». Les engins à contrepoids fixes sont appelés trabatium ; ce n'est que plus tard qu'ils seront appelés mangonneaux. Ceux à contrepoids mobiles que nous nommons trébuchets sont appelés biffa. Pour l'instant personne n'est capable de certifier leurs origines. Mais une chose est certaine, leur conception, leur construction et leurs réglages sont affaire de spécialistes. Il semble que les francs aient beaucoup appris lors des croisades. Ainsi en 1124 lors du siège de Tyr, l'artillerie des assiégés (et oui on ne se laisse pas faire, les villes et plus rarement certains châteaux sont parfois défendus par des machines) est plus puissante que celle des croisés ! Ils vont donc quérir un Arménien, un certain Havédic fort renommé pour la construction et le réglage des engins. Dès lors les croisés peuvent utiliser des machines puissantes. Les hommes qui fabriquent ces machines sont les engineor qui deviennent rapidement des spécialistes, personnages très importants. Sous le règne de Philippe Auguste, on constate une révolution avec la fabrication en série de machines transportées durant les déplacements des troupes en campagne. Cependant ces machines coûtent une fortune, et seuls les rois ou les villes en possèdent. Ces dernières n'hésitent pas à les louer avec tout le personnel et la logistique nécessaires !

Le mangonneau

C'est le grand frère de la pierrière. Il utilise un contrepoids, la huche, qui peut peser plusieurs tonnes. Ce type d'engin semble apparaître au XIIe siècle. Afin de donner un effet d'accélération au projectile au moment du lancement, on utilise toujours le système de lancement de la pierrière. Le mangonneau peut envoyer des boulets de 100 kg à 150 mètres avec une cadence de deux tirs à l'heure et douze servants (sans compter les ouvriers). Le contrepoids fixe présente deux gros défauts. Tout d'abord, il faut des efforts énormes pour rabattre la verge, d'où l'utilisation de grands treuils, type roues de carrier. Ensuite les matériaux contenus dans la huche finissent toujours par bouger : ce qui tend à créer des vibrations et des à-coups importants néfastes pour la charpente et la précision.

Le trébuchet
Les garnisons et les arsenaux des villes et châteaux au XIIIe siècle

Les comptes du château de Peyrepertuse dans l'Aude, nous signalent qu'en 1302 la garnison est composée d'un châtelain, d'un chapelain, d'un guetteur, d'un portier et de 21 sergents. En 1321, le maître de l'artillerie de Carcassonne fournit à la place 20 casques de fer et 17 arbalètes. Il est important de préciser que c'est un château royal sur la frontière avec l'Aragon, ce qui explique une garnison aussi imposante. Le château de Pacy-sur-Eure (Normandie) au début du XIIIe est équipé de 69 arbalètes, 11 hauberts de mailles, 23 casques doubles, 23 casques ordinaires. Ce château est encore un château frontière d'où un arsenal aussi fourni. Dans certains cas comme à Illiers-l'Évêque, il n'y a que deux arbalètes. Les arsenaux des villes sont plus ou moins remplis. Ainsi Chinon est équipée de 52 arbalètes, 4 500 carreaux, 20 épées, 60 grands boucliers et 30 plus petits, 400 cordes pour pierrière (?), 11 grandes machines de siège, 6 gros chariots et 26 petits pour leur transport, 4 casques doubles etc. À l'inverse Lyons-la-Forêt est seulement équipée de 5 hauberts, 4 haubergeons et 9 casques.

C'est la quintessence de l'artillerie médiévale ! Ce type d'engin semble faire son apparition durant le premier tiers du XIIIe siècle. Les engineors ont remplacé le contrepoids fixe par un système articulé, diminuant ainsi les efforts pour l'armement, réduisant les à-coups et augmentant ainsi la portée et la précision. Avec le trébuchet, la balistique devient une science exacte. En règle générale, les boulets retrouvés ne dépassent pas 125 kilogrammes. On estime la portée de tir à 250 mètres. Une reconstitution réalisée par R. Beffeyte en 1998 a démontré qu'avec un contrepoids de six tonnes, on peut envoyer un boulet de 125 kilogrammes à 175 mètres avec une cadence de deux tirs à l'heure. Au point d'impact le boulet arrive à 200 km/h. En quatre tirs, il a ouvert une brèche dans un mur de 4 mètres d'épaisseur à la base et 2,1 mètres à son sommet pour 5 mètres de haut, le tout réalisé en granit maçonné.

Les trébuchets peuvent aussi servir à envoyer des charognes, des prisonniers vivants ou morts, des immondices. Ainsi en 1332 lors du siège du château de Schwanau (Alsace), les machines bombardent l'intérieur de la place avec des tonneaux remplis d'immondices tirées des eaux de vidange de Strasbourg ! L'eau et la nourriture étant devenues impropres à la consommation, les assiégés durent se rendre.

La qualité d'une machine réside dans les rapports géométriques. C'est pourquoi les engineors ont souvent une formation d'architectes, comme le célèbre Villard de Honnecourt qui nous a laissé ses carnets de route si remarquablement illustrés au XIIIe siècle. Pour faire un bon trébuchet, il y a cinq points essentiels étroitement liés les uns aux autres : la taille du contrepoids et la façon de le fixer, le poids du projectile, la longueur de la verge et la position de son axe, la courbe du crochet (cette pièce de métal est fixée au bout de la verge et l'on y fixe la boucle de la fronde), la longueur de la fronde. Pour avoir une bonne précision la verge doit être rigide : de simples essais suffisent à le démontrer. Il semble que la fronde doit faire à peine plus du tiers de la longueur de la verge, mais cela dépend de la portée que l'on veut obtenir. La courbure du crochet est primordiale et doit être adaptée en fonction du poids des munitions utilisées. Si la courbure est trop importante, le boulet est lâché trop tard et il peut retomber juste devant la machine voire dessus ! Si la courbure est trop faible le boulet est lâché trop tôt et part dans le sens contraire à savoir derrière !

L'équipe nécessaire au maniement du trébuchet est imposante, il faut des terrassiers pour poser la machine bien à plat, des charpentiers pour le montage et les réparations, des tailleurs de boulets, des cordiers (on utilise énormément de cordes sur une machine et peu de métal) et enfin une vingtaine de tendeurs qui ne s'occupent que des tirs. En tout, il faut 50 à 60 personnes pour faire fonctionner une machine sans oublier les 31 chariots nécessaires au transport (nombre de chariots : tirés du livre de compte de Pontorson en 1378).


Le flanquement de la courtine de la basse-court de Coucy
est impressionnant : qui oserait tenter une échelade !
De plus la pente empêche l'utilisation de tour roulante !

Les assiégés qui ne possèdent pas de machines pour détruire celles de l'adversaire (cas le plus fréquent) sont forts dépourvus. Leur seule chance consiste à compter sur la robustesse de la place en attendant des secours externes rapides, car l'efficacité des machines est redoutable. Les assiégés peuvent aussi tenter une sortie afin d'endommager les machines de l'adversaire ou massacrer les hommes chargés de les construire avant que leur besogne soit achevée. Nous disons endommager, car la destruction complète d'une machine semble incompatible avec une sortie qui se doit d'être très rapide afin que l'ennemi n'ai pas le temps de réagir comme nous l'avons déjà vu. Afin de les préserver les machines sont parfois protégées par des palissades qui ont aussi le mérite d'abriter les servants d'éventuels tirs d'arbalète ou de baliste.

Les architectes n'ont que peu de solutions à opposer à ces machines, hormis construire les places fortes en des endroits où il est très difficile de les mettre en batterie ou alors tout simplement en augmentant l'épaisseur des murs. Par exemple aujourd'hui en Alsace, on voit encore de nombreux exemples de murs boucliers pour défendre les parties d'une place sujette à une attaque au trébuchet ou au mangonneau. Souvent ce sont de véritables tours comme au château de Bernstein (vers 1200) et de l'Ortenberg (1262-1265) qui protègent ainsi les logis situés dans leur prolongement. On remplace les tours carrées par des tours rondes qui offrent moins de surface de contact aux boulets, toujours dans le même souci de protection les architectes développent de nouvelles formes comme celle en éperon (appelée aussi en amande) encore visible à Loches au château du Coudray-Salbart (début XIIIe siècle) ou à la Roche-Guyon (1190-1200). Parfois des tours semi-circulaires pleines renforcent les courtines, tout en améliorant le flanquement (enceinte du front sud de Loches ou chemise du donjon de la Roche-Guyon).

L'assaut

L'échelade

C'est le moyen le plus risqué. Les hommes s'élancent à l'assaut en grimpant sur des échelles, certaines permettent de monter à deux ou trois de front. Cependant, il faut une attaque massive si l'on veut réussir. Pour avoir fait l'essai sur une échelle à 10 mètres de hauteur, je peux vous dire qu'avec une rondache dans une main et une épée dans l'autre, il est très difficile de se battre, car l'échelle bouge beaucoup et l'on manque d'appui. Grâce à des arbalétriers ou des hommes armés de lances voire de simples haches ou de pierres, on empêche l'échelade à condition d'avoir des effectifs suffisants. On peut aussi repousser les échelles avec de longues fourches avant qu'elles ne touchent le mur... Par contre lors d'une diversion alors que le rempart est dégarni, on peut lancer l'opération plus facilement. Mais il faut faire très vite. Une dernière solution consiste à utiliser l'échelade simultanément avec une attaque à la tour d'assaut comme nous le verrons dans le chapitre suivant.

Pour lutter contre les assauts, les architectes multiplient les tours afin d'assurer un meilleur flanquement, ce qui a pour effet de multiplier les angles de tir, l'enceinte urbaine de Provins en offre toujours un excellent exemple. La hauteur des murs et la profondeur des fossés nuisent à l'échelade, tout comme des talus prononcés à la base des courtines. On peut aussi ménager des gaines pourvues d'archères dans l'épaisseur des courtines, cela permet en plus d'améliorer la circulation des troupes.

La tour d'assaut ou beffroi

Encore appelées héléopoles, ces tours roulantes à plusieurs étages sont équipées d'une passerelle que l'on abaisse sur le rempart au moment de l'assaut. Le dernier étage est parfois équipé d'une plate-forme où l'on place des arbalétriers destinés à couvrir l'assaut. L'arrière de la tour est équipé d'une large échelle où plusieurs hommes montent de front. La face et les côtés sont recouverts de peaux de bêtes fraîchement écorchées afin d'éviter le risque d'incendie. Mais ça n'est pas toujours suffisant, ainsi lors du siège d'Antioche en 1098, la tour d'assaut des croisés fut incendiée par les Musulmans, en 1153 lors du siège d'Ascalon les assiégés jetèrent du bois enduit de pois à la base de la tour puis y boutèrent le feu, le vent rabattit les flammes vers la muraille qui déjà fissurée finit par s'effondrer ! Parfois les assiégés tentent de les détruire avec des machines ou des projectiles incendiaires. Mais l'utilisation de cet engin nécessite de grosses infrastructures et une main-d'oeuvre nombreuse. Il faut préparer une véritable route en plan légèrement incliné, afin de faciliter le déplacement de l'engin (sans lui faire prendre trop de vitesse !), l'inclinaison augmente sur la fin de cette rampe car les systèmes de cordes, de poulies et de cabestans qui servent à son déplacement ne sont plus efficaces dans cette phase. L'engin vient donc se placer par la seule force de gravité. Certains chroniqueurs parlent de trébuchets montés sur les plates-formes des tours d'assaut. C'est encore une exagération de leur part, compte tenu du poids, de l'encombrement et des efforts que la charpente aurait à subir, il faudrait une tour monumentale que l'on ne pourrait plus déplacer ! Au mieux on peut admettre l'utilisation de petites machines à traction humaine, qui au demeurant sont bien suffisantes contre des piétons défendant un rempart ! C'est avec ce type d'engins que les croisés ont pris Jérusalem en 1099, une fois le combat engagé sur le rempart, l'échelade a été lancée, les assiégés ayant fort à faire avec les hommes sortant de la tour n'ont pas pu les repousser.

Pour faire face à ce type d'engins les architectes ont trois possibilités. Tout d'abord construire les places fortes dans un endroit où ils sont inutilisables de par la topographie du terrain. Ou encore construire des murs très hauts comme au château du Hohlandsbourg (près de Colmar) où l'enceinte ne fait pas moins de vingt mètres de hauteur ! Et enfin creuser des fossés très larges et profonds pour compliquer le travail des terrassiers chargés de préparer le chemin de roulement de l'engin.

Le rôle des souterrains dans les châteaux

Nous ne pouvions pas clore cet article sans parler des souterrains et autres passages secrets. Combien de fois peut-on entendre parler de galeries longues de plusieurs kilomètres, certaines passant même sous des fleuves et assez larges pour passer avec des chariots... Cela est exclusivement le fruit de l'imagination collective. Techniquement de tels ouvrages d'art auraient été impossibles à réaliser à l'époque et surtout ça n'aurait pas été discret ! Cependant dans de nombreux châteaux, on voit des galeries qui permettent une circulation entre différents points : le château de la Roche Guyon en offre un remarquable exemple entre le donjon situé sur la falaise et le château en contrebas. Ces galeries permettent une circulation rapide des troupes à l'abri des tirs et accessoirement des intempéries. On trouve aussi des place équipées de galeries de contre-mines destinées à lutter contre les taupins (château d'Arc-la-Bataille). Il est admis que l'on trouve aussi des souterrains de longueurs modestes (une centaine de mètres maximum) permettant de sortir discrètement d'une place mais c'est une arme à double tranchant qui peut causer la chute de la place, aussi ce type d'ouvrage semble avoir été assez exceptionnel.

Conclusion

Il est dommage qu'aucune machine de siège ne soit parvenue jusqu'à nous. Ce sont elles qui d'une certaine manière ont modifié le paysage castral, mais elles étaient autrement plus fragiles que les édifices qu'elles étaient destinées à détruire. On peut aussi regretter que jamais le cinéma n'ait été capable de montrer la réalité d'un siège et surtout d'un assaut avec un vrai souci de réalisme et d'historicité qui serait autrement plus spectaculaire que tout ce qui a été fait jusqu'à maintenant. Point besoin de fioritures et d'inventions loufoques, mais du réalisme, du vrai, du vécu (enfin presque) pour enclencher la machine à remonter le temps et la machine à rêves ! Lorsque l'on voit la part importante donnée au siège dans notre imaginaire médiéval, on peut se dire que cela a dû marquer nos ancêtres au plus haut point ! Il est vrai que si les techniques de sièges sont passionnantes à étudier, il ne faut pas oublier qu'il s'agit toujours d'un fait de guerre avec son cortège d'exploits, de bravoure mais aussi de morts, d'estropiés et d'atrocités en tous genres. Dans certains sièges comme celui de Bellême en 1228, on fait grâce à la garnison qui se rend. Ou encore lors de celui de Montréal en 1240, où le vicomte Trencavel obtint une capitulation honorable et sortit libre avec armes et bagages. Cependant il ne faut pas généraliser et édulcorer les choses. Tout l'art pour les chefs assiégés était de savoir jusqu'où ils pouvaient aller : en cas de doute mieux valait se rendre tout de suite que de tenter une résistance hasardeuse ou toute la garnison risquait de se faire massacrer. Comme à toutes les époques, on trouve des hommes d'honneur au Moyen Âge et d'autres qui ignorent le sens de ce mot, aussi le vaincu est toujours à la merci du vainqueur...

Bibliographie
  • J.F. Fino, C.L. Salch. Atlas des châteaux forts en France. Éditions Publitotal.
  • J. Mesqui. Châteaux forts et fortifications en France. Éditions Flammarion.
  • P. Durand. Le château-fort. Éditions Jean-Paul Gisserot.
  • C.L. Salch. Les plus beaux châteaux forts en France. Éditions Publitotal.
  • R. Beffeyte. Les machines de guerre au Moyen Age. Éditions Ouest-France.
  • D. Nicolle, A. Mc Bride. French medieval Armies 1000-1300. Collection Men at arms. Éditions Osprey.
  • G. Bordonove. Philippe Auguste. Collection Les rois qui ont fait la France . Éditions Pygmalion/G Wattelet.
  • G. Bordonove. Les croisades et le royaume de Jérusalem. Éditions France Loisir.
  • G. Duby. La chevalerie. Éditions Perrin.
Texte de Pascal Gaulain, mis à jour le 27/05/2004