Une tribu est un regroupement de corporations de métiers. Elles permettent aux artisans peu nombreux d'influer sur la vie politique et économique à armes égales avec les métiers à forts effectifs. Leur nombre limité permet à l'autorité politique de réduire le nombre de ses interlocuteurs et de mieux les contrôler de fait.
Chaque citoyen de la ville de Strasbourg fait partie d'une tribu en fonction de son activité professionnelle. Le cas échéant, il peut être rattaché à la tribu dont le poêle est le plus proche de chez lui s'il n'a aucune activité en tant que telle.
Litéralement, Zunft se traduit par tribu, ce qui rend bien la notion de regroupement. Cependant, au moment où le terme Zunft apparaît dans l'Empire, en France apparaissent les mêmes structures corporatistes appelées métiers. L'exemple le plus célèbre est le Livre des métiers d'Étienne Boileau, prévot de Paris, rédigé en 1260 ; ce livre recense l'ensemble des droits et devoirs des corporations de métiers de Paris. Le terme métier introduit toutefois des confusions dans le sens où dans une tribu (Zunft), plusieurs métiers au sens moderne sont représentés ! Pour la clarté du document, il a donc semblé nécessaire de ne pas traduire Zunft par son homologue historique.
L'inscription à une tribu est obligatoire. Pour entrer il faut :
La tribu est dirigée par deux conseils. Celui des Handwerkmeister, les maîtres, est purement interne à la tribu et ne concerne que des aspects techniques et professionnels. Le conseil des échevins, élu chaque année, gère la partie administrative, judiciaire et financière de la tribu, avec à sa tête le Zunftmeister. Le nombre des échevins d'une tribu est variable mais ils sont en tout 300. Le conseil des échevins a un rôle consultatif dans les affaires de la ville en relation avec les aspects du travail, de la vie économique et sociale.
Le Zunftmeister veille aux affaires corporatistes et à la trésorerie de la tribu. Il garde le sceau et la bannière de la tribu. Il surveille que les obligations d'équipement militaire de chacun soient respectées et désigne les gardes aux remparts et à la porte sous la responsabilité de la tribu. En temps de guerre, il surveille lui-même la garde des murs après minuit (en relevant les sénateurs qui le font avant minuit).
Elle est administrée par :
On y trouve aussi généralement un Altgesell, le doyen de la tribu qui doit faire office de sage en principe.
Au bas de l'échelle, on trouve tout d'abord les apprentis (Knechte) qui sont placés chez un maître vers l'âge de 14 ans environ. Ils servent le maître et apprennent le métier durant une période variable selon la profession, entre deux et quatre années.
Lorsqu'il maîtrise les bases de son métier, l'apprenti devient compagnon (Geselle = associé). Les compagnons prêtent serment de fidélité à un maître pour un an en général. Période reconductible dans le temps naturellement. Lorsqu'ils avaient une certaine expérience, ils pouvaient essayer de s'installer à leur propre compte. Mais beaucoup partaient de villes en villes afin de peaufiner leur savoir-faire et chercher une ville dans laquelle s'installer. Le nec plus ultra en la matière étant naturellement de marier une fille ou veuve de maître de sa profession...
Depuis la moitié du XIVe siècle, l'accès à la maîtrise est plus difficile, les maîtres (Handwerkmeister) ayant tout intérêt a préserver leur clientèle en limitant le nombre de concurrents. Cependant, le pouvoir politique de la ville de Strasbourg a toujours fait contrepoids à cette tendance corporatiste. De fait, beaucoup d'artisans étaient maîtres avec de petits ateliers à Strasbourg. Tant la ville que les tribus veillaient à ce que leur nombre soit stable dans le temps.
Les femmes elles aussi ont souvent une activité professionnelle, surtout dans les milieux populaires. Si certaines peuvent se permettre de n'être que « la femme de ... », d'autres en revanche doivent reprendre une affaire familiale suite au décès du père ou du mari. Si une femme est à la tête d'un atelier d'artisan, elle a les mêmes prérogatives qu'un homme.
Toutefois, au sein des tribus, les droits et devoirs des femmes ne sont pas les mêmes. Elles ne disposent pas du droit de vote, mais sont exemptées de service militaire. Par contre, elles doivent fournir un équipement guerrier complet (a priori souvent un casque, une protection de torse, cuirasse, chemise de mailles ou encore brigandine et une arme, longue dague, épée, hache ou hallebarde) qui sont donc porté par quelqu'un d'autre. En tant que chef de famille, tout comme un homme, une femme doit équiper ses fils et ses éventuels valets.
Il est possible que les femmes assistent aux réunions corporatistes, mais d'une façon générale, l'accès aux poêles leur est interdit.
Les alliés confédérés (Suisses) ont parfois avec eux des groupes de femmes qui semblent avoir eu des rôles combattants, porte-bannières entre autre. La raison pour laquelle certaines femmes doivent un tel service reste obscure. Etait-ce possible exceptionnellement à Strasbourg dans le cadre de l'activité de milice ? Si tel est le cas, il s'agirait d'exceptions et non d'une pratique commune.
Le recensement de 1444 fait apparaître de nombreuses veuves dans les rangs de certaines professions. Elles sont ainsi 46 sur les 231 marchands du Miroir ou encore 42 sur les 174 tailleurs par exemple. Par contre, elles ne sont que 5 sur les 85 boulangers. Seule une minorité de corporations ne comptent aucune veuve dans leurs rangs. On peut donc en déduire que le nombre de femmes dans les corporations était supérieur, sinon égal, aux valeurs citées par ce recensement.
Un éclairage sur leur rôle est donné par un acte de jugement du Sénat en 1330. Les femmes tisserandes ont demandé à « servir avec les tisserands » (bénéficier de leurs privilèges). Elles ont été admises dans la Zunft à condition de tisser la laine, la serge ou d'engager un compagnon. Celles qui tissaient le lin ou le mélangeait à d'autres fibres en étaient exclues. Elles obtirent donc les droits économiques, mais pas ceux politiques de la Zunft.
Chaque corporation vénère et fête le saint patron de sa profession. Au sein d'une tribu composite, chaque métier garde son propre patron.
En 1444, les effectifs des tribus ont été recensés à
des fins militaires. Ce recensement nous indique 28 tribus reprises ci-dessous dans l'ordre décroissant de leurs effectifs :
Durant vingt ans, de 1462 à 1482, la ville va faire pression sur les métiers afin de regrouper les huit plus petites tribus.
L'évolution se fait en trois phases :
Au cours de la période sur laquelle nous nous penchons essentiellement, les années 1470, l'état actuel de nos recherches ne nous permet pas d'être précis sur les détails des tribus. Nous savons qu'elles devaient être donc 25 et les charpentiers étaient toujours distincts des charrons.
L'ordre de préséance a été créé en 1472 et détermine dans quel ordre les tribus défilent lors des processions religieuses ou pour honorer un visiteur important. Celui repris ici comprend les tribus issues du regroupement de 1482.
À partir du milieu du XVe siècle, certaines tribus prennent le nom de leur poêle sans que cela soit systématique.
Les privilèges indiqués ne sont pas forcément du XVe siècle, leur indication est donc à prendre avec réserve.
Poêle | Zum Anker (à l'Ancre) 9,
quai des Bateliers Plus quatre autres lieux secondaires depuis 1350 dont zu dem Hirzorn à l'angle du quai des bateliers et de la rue Munch. Un autre poële est zu dem Steuer (au gouvernail), non localisé, les pélerins devaient s'y rendre pour réserver des embarcations des bateliers si besoin. |
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Membres | bateliers (Schifflüte), maîtres, timoniers, garçons et depuis 1462 ou 1463, les calfats, charpentiers de bateaux (Schiffzimberlüte) |
Obligations | Maintenir le Rhin navigable en aval de Strasbourg en échange d'une franchise complète de péages |
Privilèges | - monsaintole de la navigation rhénane de Bâle à Neuburg, Spire et
Mainz - fêtes nautiques le 20 juillet à la hauteur du quai des Pêcheurs. Ex : grimper sur un mat enduit de suif, décrocher une oie suspendue au-dessus de l'eau, défilé grotesque sur des planches et dans des tonneaux, ... |
Saints patrons | saint Christophe, saint Nicolas, saint Clément et la Vierge |
Poêle | Zum Spiegel (au Miroir) 29, rue des Serruriers (angle Serruriers/Miroir) |
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Membres | Négociants, grands marchands (souvent aussi banquiers, Cremer), professeurs, docteurs et membres de l'université, pharmaciens, brossiers, peigniers, épingliers, chapeliers |
Particularité | Le poêle est le plus grand lieu de réunion de Strasbourg, souvent réservé pour des grands banquets et des noces |
Poêle | Zur Blume (à la Fleur) 19, rue des Bouchers |
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Membres | Bouchers (Metzger) |
Création | 1322 |
Saint patron | sainte Croix |
Poêle | Zu dem von Fribourg (aux Francs-Bourgeois) 6, rue des Francs-Bourgeois (angle Francs-Bourgeois/Grand'rue) |
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Membres | Marchands de vin au détail, cabaretiers, aubergistes, cuisiniers, brasseurs |
Poêle | Zum Baren (à l'Ours) 8, rue des Drapiers |
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Membres | drapiers (Tucher), cardeurs et depuis 1462/1470/1482 tondeurs de drap (Tüchscherrer), tisserands (Weber) |
Saint patron | Saint Pierre et Paul (drapiers), saint Adrien (tisserands) |
Poêle | Zu der Luzerner (à la Lanterne) 18, rue du Vieux-Marché -aux-Grains ours tenant une lanterne peint sur la façade |
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Membres | marchands de grains (Kornlüte) et depuis 1462/1470/1482 (?), meuniers (Müller), marchands d'huile (Oleylüte), chirurgiens, barbiers (Scherrer), baigneurs (Bader) |
Privilège | Néant |
Saints patrons | St Côme et St Damien (barbiers et chirurgiens) |
Poêle | Zur Mohrin (à la Mauresse) 7, rue du Vieux-Marché-aux-Poissons |
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Création | 1314 |
Membres | marchands de sel et de produits salés (Salzmütter), employés de la ville dans le sel, fabricants de bougies, voituriers et depuis 1462/1470/1482 (?) colporteurs, cordiers (Seiler), coltineurs de tonneaux (Vaszieher), fruitiers (Obesser) |
Privilège | droit de loterie annuelle |
Poêle | Zu der Steltzen (à l'Échasse) 15, rue du Dôme |
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Membres | orfèvres (Goldsmiden), batteurs d'or, graveurs sur métaux, graveurs sur pierre fine, graveurs sur bois et en taille douce, papetiers, libraires, relieurs, imprimeurs, verriers, peintres-verriers, peintres (Moler), peintres de cartes, calligraphes, copistes, facteurs d'arbalètes |
Privilèges | port de l'épée comme les sénateurs (XVe ?) |
Saint patron | Saint Éloi (orfèvres), saint Luc (peintres), les Trois Rois (peintres de cartes à jouer), saint Sébastien (facteurs d'arbalètes) |
Poêle | Zu dem Sturm (à la Tempête) 27, rue du Dôme |
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Création | 1264, la plus vieille corporation de la ville |
Membres | boulangers (Brotbecker), pâtissiers, confiseurs, fabricants d'huile, fabricants de pains d'épices |
Privilège | - cortège de Pentecôte en armes et armures
(rappel du siège de Wasselone de 1446) - droit de vente de leurs porcs d'élevage |
Saint patron | saint Honoré (boulangers) |
Poêle | du Hohlweg 10, Grandes Arcades |
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Membres | pelletiers (Kursener), jongleurs, minnesänger, tous ceux qui vivent de la musique et du chant |
Privilèges | cortège de la fête de saint Jacques (leur patron) et carnaval habillés de fourrures en faisant une danse des cerceaux. Puis, au poêle, danse des épées mimant un combat avec une bougie entourée de papier sur la tête |
Saint patron | la Sainte Vierge (pelletiers) |
Poêle | des Tonneliers (?) 20, rue de l'Ail |
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Membres | Tonneliers (Küffer) |
Saint patron | Sainte Vierge |
Poêle | des tanneurs (?) 13, rue des Drapiers |
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Membres | Tanneurs (Gerwer) |
Création | environ 1327 |
Saint patron | saint Martin |
Poêle | des Vignerons (?) 23, rue de la Nuée-Bleue |
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Membres | marchands de vins en gros (Winlüte), vignerons, employés des marchés aux vins et depuis 1462/1470/1482 (?) gourmets des marchés aux vins (Wintischer), crieur de vin (Winruffer), mesureurs de vin (Winmesser), courtiers en vin (Underkoiffer) |
Saint patron | saint Eustache (gourmets), saint Job (marchands de vin) |
Poêle | Zu dem roten Huse (à la Maison Rouge) 1, rue du Dôme (angle place du marché aux chevaux = Broglie) |
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Membres | tailleurs (Snider) |
Privilège | cortège grotesque de carnaval avec danse des cerceaux |
Poêle | des Maréchaux (?) 138, Grand'rue (ou 6 ?) |
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Membres | maréchaux ferrants, armuriers, éperonniers, chaudronniers, forgerons (Smider), fondeurs de cuivre, fondeurs de cloches et de canons, potiers d'étain, horlogers, fabricants de limes, serruriers, charbonniers |
Saint patron | saint André (serruriers et forgerons) |
Poêle | des Cordonniers (?) 12, rue des Cordonniers (donne aussi rue de la Chaîne) |
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Membres | Cordonniers (Schuehmacher) |
Privilège | cortège grotesque en ville, 15 jours après la Saint-Michel, avec musique et danse de l'épée |
Saint patron | saint Crispus |
Poêles | Deux ont pu être relevés, mais on ne sait pas si ce furent les seuls zu dem Salm (au Saumon) 13, quai des Pêcheurs et zu der Krebs |
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Membres | Pêcheurs (Vischer) |
Création | 1315 |
Poêle | des Charpentiers (?) 16, rue des Charpentiers (Pimpernantgasse) |
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Membres | charpentiers (Zimberlüte) et depuis 1482 les menuisiers, charrons (Wagener), cassetiers, huchier (Kister), tourneurs (Trescheler), vanniers |
Privilège | accession au compagnonnage à carnaval, cortège avec copeaux sur les vêtements, regroupement sur une estrade avec discours du doyen (Altgesell) et titre de compagnon remis avec une épée en bois (parodie de l'adoubement). |
Saint patron | saint Joseph (charpentiers) |
Poêles | Zu den unter Wagern (au Charron du Bas) 7, faubourg National (?) 47, faubourg de Pierre (?) 3, rue de la Krutenau |
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Membres | Jardiniers (Gartener) |
Statut des poêles | Peuvent accueillir quiconque en semaine, mais le dimanche est réservé exclusivement à la tribu |
Marchés | le long du Rohan, place Saint-Martin, Grand'rue près du fossé des tanneurs |
Poêle | des Maçons (?) 9, rue des Juifs (Ne pas confondre avec l'atelier municipal des maçons - der Stadt Steinwerkhof -, créé en 1478 au 19 rue Brûlée) |
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Membres | maçons (Murer), tailleurs de pierre (Steinmetzen) |
Saints patrons | saints Simon et Jude (maçons) |
Avec en plus pour la période des guerres de Bourgogne les tribus suivantes.
CERTAINE
PROBABLES