Lorsque l’on s’imagine la guerre au XIIIe siècle, on pense généralement aux chevaliers. Mais on oublie trop souvent leurs précieux auxiliaires, beaucoup plus nombreux: les sergents. Sous Philippe II, dit Auguste à juste titre, l’armée royale permanente se compose de 3043 hommes dont seulement 257 chevaliers. En cas d’urgence, les milices urbaines peuvent fournir 8054 sergents et les contingents féodaux 800 chevaliers. Durant son règne, Philippe le Bel impose au peuple d’entretenir et d’équiper correctement « six sergents de pieds » dont deux arbalétriers pour cent feux (cent foyers). Les chevaliers forment de fait les troupes d’élite, et les plus puissants d’entre eux commandent de véritables petites troupes autonomes composées entre autre de sergents. Il faut en fait concevoir l’armée au XIIIe siècle comme un tout. Il n’y a pas les chevaliers d’un côté et les sergents de l’autre. Il y a un groupe de combattants qui ne vaut rien s’il n’est pas uni et ne travaille pas de concert. Certains chevaliers des plus fameux, comme le sire de Joinville (compagnon de Louis IX), n’hésitent pas à citer les exploits et parfois les noms de sergents ayant fait preuve de bravoure au combat. Preuve que le dédain est probablement l’apanage des chevaliers médiocres…
Les sergents d’armes sont des cavaliers faisant partie de l’élite guerrière, juste sous les chevaliers et les écuyers. Leurs équipements (détaillés plus loin) sont parfois si proches qu’on peut les confondre. Les sergents, eux, sont en fait des fantassins. On distingue trois type de sergents ou de sergents d’armes : les miliciens, regroupés dans les corporations des villes, qui sont principalement des artisans, combattants occasionnels assignés au guet en temps normal, les sergents servant un seigneur qui leur verse une solde (d’où le terme de soldats), les mercenaires, soldats d’élite peu scrupuleux.
Au XIIIe siècle, on peut distinguer trois types de casques : le chapel de fer, dont la famille comprend deux modèles, souvent renforcés de ferrures. Le premier modèle est d’une facture assez spéciale, car si le rebord incliné permet de dévier les coups, le dessus est plat . C’est exactement la forme des chapeaux de paille de cette époque, d’où le nom de chapel. Le second modèle comporte un bord étroit parfois incliné vers le bas, le dessus étant arrondi. On peut estimer la proportion de chapels de fer à un sur quatre casques en moyenne. A Paris entre 1229 et 1230, un chapel de fer et un gambison réunis coûtent dis fois moins chers qu’un haubergeon. le casque à nasal, réservé au combattants de base (les chevaliers ne l’utilisent plus). Il est parfois renforcé de ferrures, mais ce n’est pas systématique. la cervelière, sorte de casque à nasal sans nasal et sans ferrure, ne protégeant que le crâne. Elle est très répandue du fait de son faible coût : entre les années 1200 et 1330, trois soldats sur quatre portent ce type de casque. Les casques sont souvent portés sur un cale, généralement rembourré, comme les gambisons, afin d’assurer une meilleure protection contre les chocs. Ils ne sont pas forcément en métal, mais peuvent aussi être en cuir bouilli. En effet, ce matériau permet d’acquérir un casque offrant une protection relative certes, mais pour un faible prix de revient.
Le gambison est composé de deux pièces de tissu ou de peau fine entre lesquelles on glisse du crin, de l’étoupe ou de la laine. Des coutures verticales permettent de faire des « boudins » qui assurent un bon maintien du rembourrage et une meilleure résistance aux chocs du fait du relief ainsi créé. En revanche, le gambison n’est d’aucune utilité contre les coups d’estoc et assure une protection limitée contre les coups de tranche. C’est pourquoi les combattants plus aisés portent un haubert par dessus. Les gambisons sont systématiquement équipés d’un col droit et haut ayant pour fonction de protéger la gorge. La plupart sont à manches longues, avec ou sans moufles pour protéger les mains.
Contrairement à une idée couramment
admise, le simple soldat est souvent équipé
d’un haubert (cotte de mailles). Bien sûr, au vu du
prix de tels équipements, il s’agit probablement
d’un vieux haubert acheté à bas prix ou
résultat de pillage. Il peut aussi s’agir
d’un haubert provenant de l’arsenal de sa ville ou
de son château. Sur les représentations ou dans
les écrits, les chevaliers semblent porter les
mêmes hauberts que les autres militaires, mais il ne faut pas
s’y fier : les hauberts des nobles sont souvent fait
sur mesure, mieux rivetés, avec des anneaux plus fins.
Les fantassins portent le haubert avec ou sans camail
intégré, et dans la plupart des cas celui-ci
protège les bras et les mains (système de
moufles). Les archers et les arbalétriers gardent les mains
nues afin de pouvoir manier leurs armes correctement. Le haubergeon
(haubert à manche mi-longue du même type que celui
porté au XIe siècle) peut
parfois
être utilisé, mais on peut se demander si ce
n’est pas du matériel de
récupération.
Les cavaliers portent obligatoirement le haubert complet
protégaent les mains (moufles), les bras, la tête
(camail intégré) et descendant jusqu’au
genou. Le camail séparé
n’apparaîtra qu’au début du
XIVe siècle. Néanmoins, de
nombreux
hauberts du XIIIe siècle sont
équipés de ventail permettant de
dégarnir la tête. Pour se protéger les
jambes et les pieds, très exposés, des chausses
de mailles sont utilisées (voir plus loin).
Les hauberts du XIIIe siècle sont
généralement composés
d’anneaux de 6 à 8 mm de diamètre
intérieur, pour une épaisseur allant de 1,3
à 1,6 mm. Le diamètre des anneaux peut varier
suivant l’endroit où ils sont placés
afin d’assurer une meilleure protection sur les points du
corps les plus sensibles. Le sens de montage varie aussi pour donner un
maximum de souplesse à l’ensemble. Les mailles
peuvent être doublées sur tout ou partie du
haubert selon le degré de protection et le poids final
requis. Elles sont composées de fer peu travaillé
et non d’acier. Il semble que les anneaux sont
généralement rivetés, le
procédé le plus connu étant celui dit
en grain d’orge. Parfois, un certain nombre de mailles sont
coulées d’une seule pièce afin de
renforcer la solidité de l’ensemble. Les rivets
utilisés sont rapportés sur des anneaux
préfabriqués et percés à
chaud. Un grand haubert est composé de 30
à 60000 anneaux et pèse un peu plus de
10 kilos pour les plus lourds
kilos, selon le degré de protection. Le gambison, bien que
rarement visible, est presque toujours porté sous le haubert
afin d’amortir les chocs éventuels.
Elles sont quasi inexistantes au XIIIe siècle. Sur la Bible de Maciéjovski un seul personnage porte ce type de protection, il s’agit de Goliath, et ce sont de simples plaques de métal vaguement formées pour protéger l’avant du tibia, la fixation se faisant avec des lanières de cuir entourant le membre. Dans la mesure où l’archéologie n’a jamais livré de pièces similaires, on peut supposer que ces plaques, si elles existaient, étaient plutôt en cuir bouilli. On ne voit de plus jamais de plaques d’armures articulées au XIIIe siècle. Seules protections de plaques semblant réellement apparaître à la fin de cette période : les ailettes (portant souvent le blason de leur propriétaire). Et encore, sont-elles en métal, en cuir bouilli ou en bois ? Sur certaines statues (par exemple sur celle de Saint Maurice, datant de 1250 et se trouvant dans la cathédrale de Strasbourg), on peut observer des cottes de mailles renforcées de plaques dont on voit clairement les rivets de fixation. Mais, de même, est-ce du cuir ou du métal ? Il est couramment admis que dans la seconde moitié du XIIIe siècle, les chevaliers porteront de plus en plus souvent ce type de protection sous la cotte d’armes.
Les cavaliers sont équipés de jambières de mailles protégeant même les pieds. Ces pièces de protection sont réalisées comme les hauberts. Il est peu fréquent d’observer des fantassins avec des chausses de mailles malgré le risque élevé d’avoir les jambes touchées lors des combats. Cela est probablement lié au manque de mobilité et de souplesse du fait du poids et du mode de fixation de ce type de protections. Les seules représentations de chausses de mailles qui existent ne montrent pas la partie au dessus du genou, mais l’hypothèse la plus réaliste est que chaque jambière a la même forme qu’une chausse de tissu.
Les soldats sont parfois équipés de cotte d’armes ou cotte à armer. Celles-ci ne portent jamais de blasons contrairement à celles des chevaliers. Ce vêtement, long et ample, qui se porte sur le haubert offre une protection contre le froid, la pluie ou la boue. Ainsi par exemple, les gambisons portés sous les mailles ne se gorgent pas d’eau trop rapidement en cas de pluie.
La broigne est une protection de cuir qui peut se porter par dessus un gambison, un haubert ou même parfois un vêtement civil. Elles peuvent être rembourrées à la manière des gambisons ou renforcées par des bandes de cuir. L’archéologie n’ayant jamais livré de broignes, nous devons nous contenter de l’observation de diverses sources : statues, enluminures…
Le premier type de bouclier, utilisé par les
fantassins et parfois les sergents d’armes, est la rondache
(nommé ainsi du fait de sa forme ronde), dont le centre est
parfois renforcé par un umbo et le pourtour par une ferrure.
La rondache a un diamètre variant entre 60 et 90
centimètres.
Le deuxième type est utilisé par les sapeurs
(encore appelés taupins) et certains tireurs qui se
protègent parfois derrière ces grands
écus à peine plus courts que les boucliers en
goutte d’eau et précurseurs des pavois.
Les boucliers sont fabriqués en bois et recouverts de cuir,
afin de limiter l’éclatement du bois sous les
coups des armes de choc telles que la hache.
Nous ne nous étendrons pas trop sur le sujet si
vaste qu’est celui de l’épée.
La plus commune au XIIIe siècle est
l’épée de tranche à une main
(l’épée bâtarde, dite
épée à deux mains,
n’apparaît qu’à la fin du
XIIIe siècle.), avec une
gouttière
remontant jusqu’à la garde et souvent
décorée de gravures, noms ou citations. Ce
n’est pas une épée
d’estoc : la pointe n’est pas
effilée, car cela est inutile face à une cotte de
mailles. C’est donc plutôt une arme de choc et de
tranche, pesant entre 1,2 et 1,3 kilos. Et contrairement à
ce que peuvent montrer certaines enluminures (les enlumineurs ayant la
fâcheuse tendance à exagérer), une
épée, aussi affûtée soit
elle, ne tranchera (ou même ne coupera) jamais un membre
recouvert de mailles.
Le baudrier, lié autour de la taille, permet de porter le
fourreau. Il est fermé par une boucle ou un simple
nœud et est parfois complété par une
ceinture. L’épée n’est jamais
portée sans fourreau, celui-ci étant fait de cuir
et de bois et servant à protéger l’arme
contre les rigueurs du climat.
L’extrémité inférieure du
fourreau se termine généralement par une
bouterolle de métal, ceci afin de limiter l’usure
due aux frottements. Contrairement à une autre
idée préconçue, il est rare de voir au
XIIIe siècle des fantassins sans
épée. Seulement, comme pour les hauberts, il y a
différents niveaux de qualités.
Encore appelée coutil ou coutel, on ne voit que rarement des chevaliers en harnois de guerre la porter au côté, ces derniers semblant l’arborer uniquement lorsqu’ils sont en civil. Il est vrai que la dague est surtout utilisée par les fantassins pour achever les blessés et détrousser les cadavres, ou alors pour le corps à corps. Néanmoins, dans la Bible de Maciéjowski, on voit parfois des cavaliers manier la dague en mêlée, mais sont-ils sergent d’armes ou chevaliers ?
La douille conique du fer de lance est aussi longue que sa pointe. Le diamètre de la hampe est très supérieur à celui des lances de chevaliers, le fantassin ayant l’avantage de pouvoir tenir sa lance à deux mains. La lance de fantassin est parfois utilisée lors de batailles : elle a l’avantage de tenir l’adversaire à distance et de l’atteindre en prenant moins de risques. A la fin de la bataille de Bouvines, en 1214, Renaud de Dammartin placera ses fantassins, équipés de lances, en cercle : ils formeront ainsi un mur derrière lequel il viendra reprendre son souffle avec ses cavaliers entre deux assauts. L’utilisation massive d’armes d’hast par des sergents semble tout de même rester rare au XIIIe siècle.
Cette arme, maniée par un fantassin, peut atteindre
des dimensions impressionnantes : de 1,2 à 1,3
mètres de long. Elle se manie dans ce cas à deux
mains. Sa forme générale n’est pas sans
rappeler les masses de commandement des chefs normands du
XIe siècle : longue batte de
base-ball
munie de grosses têtes de clous à son
extrémité. En aucun cas, il ne faut imaginer des
pointes trop longues qui se planteraient ou casseraient : la
masse est une arme de choc dont le rôle est de fracasser.
Philippe Auguste utilisera une unité de 400 massiers pour
tenir le pont de Bouvines lors de la célèbre
bataille du même nom (1214). La cavalerie anglo-flamande
enfoncera les lignes françaises avant de venir se briser sur
les massiers qui ne céderont pas, les chevaux ayant
dû perdre l’avantage de la vitesse.
Un morceau de bois avec une douille pour y fixer une
chaîne et une simple masse de métal suffit
à réaliser un fléau.
Cette arme, dérivée du fléau
à blé, est l’arme de choc la plus
dangereuse. Paradoxalement, si l’utilisation de cette arme
est reconnue par tous, elle est attestée par très
peu de sources. Elle semble apparaître durant la
moitié du XIIIe siècle et
rien ne
semble démontrer l’utilisation du fléau
à deux mains à cette époque.
Ce modèle à large fer et long manche est aussi appelé hache d’arme ou hache d’arçon (car elle était souvent fixée sur la selle pour les cavaliers). C’est une adaptation guerrière de l’outil et même les cavaliers l’utilisent à deux mains. Ce type de hache permet d’avoir une force d’inertie importante et point n’est besoin de tranchant aiguisé, le but étant de briser et non de couper. Le cuir collé sur les boucliers permet de limiter les phénomènes d’éclatement du bois mais l’effet de choc demeure.
On utilise l’arc droit et l’arc à double courbure encore appelé arc « turquois ». Ce dernier fonctionne comme un double ressort alors que l’arc normal fonctionne comme un simple ressort : la détente est plus nerveuse, plus puissante et la portée est de l’ordre de 300 mètres. De plus, la double courbure diminue l’effort nécessaire pour bander l’arc. Des sergents d’armes équipés de ces arcs sont redoutables, même si ces arcs ne sont tout de même pas assez puissants pour percer une cotte de mailles. Le plus souvent, les arcs sont en if, en orme ou en frêne, voire en matériaux composites. L’arc étant plutôt utilisé pour la chasse ou l’amusement, l’arbalète reste l’arme absolue pour le tir de combat au XIIIe siècle.
C’est l’arme de trait absolue, la plus
puissante et la plus terrifiante de son temps. Dès 1139,
l’Eglise tentera sans succès d’en
interdire l’usage entre Chrétiens. C’est
sans aucun doute à cause de cette arme que
l’extraction des flèches occupe tant de place dans
les traités de médecine. De nombreux outils
existent pour extraire les traits (flèches et carreaux),
mais les infections liées à ce genre de plaies
sont tout aussi mortelles que la blessure elle-même. Seuls
les blessés les plus robustes ou ceux ayant la chance
d’être entre les mains d’un bon barbier
ont une chance de survivre.
L’arbalète est composée d’une
crosse de bois, d’une noix de fer ou d’os,
d’une gâchette et d’un arc
lui-même composé d’un assemblage de
matériaux divers (bois, corne, tendon, os) le tout
cousu dans une gaine de cuir ou de parchemin. La section de
l’arc est importante afin de garantir une grande puissance et
de pouvoir ainsi tirer le plus loin possible. Le chiffre de 330
mètres est couramment admis. Le poids moyen d’une
arbalète est de 3 à 4 kilos. Son avantage par
rapport à l’arc, hormis une puissance nettement
supérieure, est de pouvoir rester bandé sans
perte de puissance, laissant ainsi tout le loisir au tireur
d’ajuster sa cible avec précision. Cette arme est
capable de traverser tous les types de protections de
l’époque, y compris les hauberts.
En ce qui concerne les carreaux, fabriqués en
acier, une étude menée sur 1042 d’entre
eux trouvés au château de Rougemont
(près de Belfort), détruit au début du
XIVe siècle, montre que tous sont
à
douille, à une exception prêt. Ils
pèsent en moyenne entre 17 et 23 grammes et mesurent entre
7,3 et 8,5 centimètres de long.
Pour armer l’arbalète, on utilise
l’étrier fixé en avant de
l’arc. On y place le pied et on s’aide
d’un crochet fixé à la ceinture pour
tirer la corde jusqu’à la noix. Cette
manœuvre est assez éprouvante pour le dos et les
bras. Ensuite on relève l’arme à
l’horizontal, on y place le carreau et il n’y a
plus qu’à viser et à appuyer sur la
détente pour tirer. Tout cela permet de comprendre que, si
l’arbalète est beaucoup plus puissante et beaucoup
plus précise que l’arc, sa cadence de tir est bien
moindre. Un arbalétrier entraîné tire
de l’ordre de 2 à 3 carreaux par minute.
L’arc a lui une cadence de tir de 10 à 15
flèches par minute, permettant de réaliser
facilement une pluie de traits. C’est pourquoi dans les
siècles futurs, le grand arc de guerre supplantera
l’arbalète.
- Georges Duby, La chevalerie,
éd.Perrin
- Jean Richard, Saint Louis, éd. Fayard
- Georges Bordonove, Philippe Auguste, coll.
« Les Rois qui ont fait la
France », éd. Pygmalion
- L’armement et l’art du combat en
Alsace et régions voisines aux XIIe
et
XIIIe siècles,
mémoire de
maîtrise réalisé par Olivier Binder
à l’Université des Sciences Humaines de
Strasbourg en 1997/1998
- Facsimilé de la Bible de Maciéjovski et du
Codex Manesse
- Statuaire des cathédrales de Strasbourg, reims et Chartres