Escrime, guerre et armement
Canons et Châteaux-forts

Dans l’esprit de certains, l’apparition du canon rime avec disparition des châteaux. Alors, pourquoi Protestants et Catholiques se disputent-ils toujours les places fortes médiévales durant les guerres de religion au XVIe siècle, époque où le canon a fait ses preuves ! Pourquoi Richelieu et Mazarin s’acharnent-ils à détruire tous les châteaux non frontaliers susceptibles de servir de point d’appui à d’éventuels fauteurs de troubles ? Au XVIIe siècle, durant la minorité de Louis XIV, les frondeurs choisissent Coucy-le-Château comme place de ralliement. Malgré l’artillerie, il faudra trois mois de sièges et 60 000 hommes pour assurer le blocus de la place avant d’en venir à bout après un assaut ! En 1652, Mazarin fera démanteler la place, même la sape et la poudre noire utilisées ne parviendront pas à détruire le magnifique donjon. En 1917, l’état major Allemand donnera l’ordre absurde (pour rester poli) de le dynamiter : il faudra 28 tonnes d’explosifs !!! La réalité est donc beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Les architectes du XVe, tout comme leurs aînés des XII-XIIIe siècles, confrontés aux machines à contrepoids semblent avoir fait preuve d’innovation face à cette nouvelle menace que constitue le canon.

De 1300 à 1370 : la culture de l’héritage

Il ne faut pas perdre de vue que le château, quelque soit la période, répond à une réalité sociale et militaire. Ainsi, dès le XIIIe, la construction d’un château capable de « résister » à un siège en règle coûte déjà fort cher et devient le privilège des nobles les plus puissants. Tandis que la grande majorité d’entre eux se contente de maisons fortes ou de petits châteaux dans le meilleur des cas. Ainsi en 1337, alors que commence la Guerre de Cent Ans la plupart des places fortes ont une valeur militaire médiocre. En 1355 lorsque le Prince Noir déferle sur le Languedoc, seules Carcassonne et Narbonne sont aptes à lui résister ! La Guerre de Cent Ans dure de 1337 à 1453 et voit la montée en puissance du canon, mais nous n’en sommes pas encore là ! Néanmoins les châteaux et les villes fournissent des points d’appuis aux belligérants durant toute la guerre. Depuis ces places sont lancées des chevauchées dévastatrices en territoire ennemi. Faute de temps et de moyens les sièges sont rares comme aux XIIe-XIIIe siècles. Mais les périodes de trêve ne sont pas pour autant des périodes de sécurité avec toutes ces bandes de mercenaires désœuvrés, les fameuses grandes compagnies qui sillonnent le pays et prennent les places en escaladant les remparts par assaut massif à l’échelade ou par ruse. Contre de petites garnisons et des places vieillottes, l’opération réussit souvent ! De plus le marasme économique qui s’installe depuis la fin du XIIIe, conjugué à l’épidémie de peste de 1348, les impôts écrasants et le climat de guerre poussent les plus pauvres à la révolte : ce sont les Jacqueries. Les nobles, la bourgeoisie et les collecteurs d’impôts sont les cibles favorites des émeutiers qui attaquent parfois les châteaux. Ces Jacqueries comme celle de 1358 qui toucha la Brie, le Soissonais, et le Valois sont systématiquement sauvagement réprimées, mais le danger est là… Aussi pour se protéger lorsqu’on en a les moyens, on tend à surélever les courtines à la hauteur des tours, on multiplie les flanquements, et surtout on réalise une défense efficace du haut des remparts en employant de plus en plus fréquemment les mâchicoulis, parfois surmontés d’un étage à partir des années 1360 comme à Pierrefond. Pour les archers et les arbalétriers, on multiplie aussi les archères, notamment à la hauteur de la contrescarpe tandis que le pont levis à flèche s’impose progressivement pour sa vitesse de manœuvre. Cependant on note dès le début du XIVe une volonté d’améliorer le confort, la notion d’intimité est au goût du jour. Pour cela les demeures sont compartimentées et organisées tant sur le plan horizontal que vertical. On n’hésite plus à percer des fenêtres défendues par de solides grilles dans les étages supérieurs, les tours de flanquements deviennent des tours résidences, seuls les étages inférieurs et les chemins de ronde conservent une vocation défensive. Le souci du décor, voire du luxe pour les plus riches est de plus en plus marqué. Parfois le château devient palais, sans pour autant oublier l’aspect militaire même si ces deux aspects semblent difficilement conciliables. A partir de 1360 Charles V désirant faire oublier les règnes désastreux de Philippe VI et Jean Le Bon remet au goût du jour la notion de tour résidence, mais plus haute, mieux décorée, plus ostentatoire. Vincennes en est l’un des plus beaux exemples. Mais ces grosses tours sont des appartements privés, on n’y trouve plus les espaces d’apparats comme dans les tours des XI-XIIe. Le donjon redevient le logis du seigneur du château. Certaines places se retrouvent donc avec deux donjons, un ancien modèle peu confortable et un neuf conforme à la nouvelle mode. A noter que durant ces années, c’est toujours le bon vieux trébuchet qui représente la machine de guerre la plus destructrice, comme au siège de Dieppe en 1378.

L’apparition de l’artillerie.

L’artillerie à poudre semble faire son entrée dès l’année 1324 dans l’armée royale au siège de la Réole. Sur le manuscrit de Gaullier de Milimete daté de 1325, on peut voir un canon en forme de vase dont les munitions semblent être de grosses flèches nommées « garro ». Une pièce archéologique semblable a été trouvée en suède en 1861. Les archives de Florences accréditent cette datation, en 1326 la ville fait fabriquer des canons de bronze. Les archives de Lille parlent aussi de ce type de canons et de munitions en 1340. Dès lors cette nouvelle technologie donne lieu à de nombreux essais, et de nombreuses voies sont explorées avant d’obtenir des performances réellement efficaces dans les années 1370. On sait qu’en 1392 la République de Strasbourg en guerre avec son évêque Frédéric de Blanckenheim et frappée d’interdit par l’empereur Wenceslas subit l’attaque d’une coalition de comtes menée par son évêque qui est repoussée par des tirs d’artillerie à poudre mais de quel calibre (grosse büchsen) ? Rapidement, deux technologies se distinguent : les canons en bronze coulés d’une seule pièce et les canons en fer composés de barres du même métal cerclées à la manière des tonneaux. Les cerclages sont parfois montés les uns contre les autres afin de renforcer la résistance de l’affût. Le bronze est provisoirement abandonné à cause de la complexité de la coulée et de la fragilité relative du matériau utilisé (le même que pour les cloches). Dès lors de nombreux modèles voient le jour mais ces armes sont hors de prix et souvent plus dangereuses pour l’artilleur que pour l’ennemi. Il est si fréquent que les pièces explosent que certains n’acceptent de les payer qu’après deux tirs d’essai. Ce risque demeurera longtemps. Ainsi en 1460 Jacques II, Roi d’Ecosse est tué par l’explosion d’une bombarde ! Mais ces explosions ne sont pas uniquement dues à un manque de résistance du métal mais aussi à un problème de dosage de poudre. La poudre fabriquée est très fine et lors du transport elle tend à perdre de son homogénéité et du coup peut avoir un pouvoir détonnant supérieur ! Il faut donc à nouveau la mélanger à la main avant utilisation, d’où risque d’explosion avant même d’utiliser cette très coûteuse marchandise ! Son coût s’explique par la rareté du salpêtre. Sa fabrication relève du secret d’alchimiste et d’artilleur. La finesse de la poudre empêche la flemme d’arriver au cœur de la charge explosive, du coup une quantité de poudre substantielle continue à se consumer alors que le projectile est déjà parti ! Nous ne nous lancerons pas ici dans une description précise de chaque pièce mais plutôt dans un descriptif des grandes familles et de leurs conséquences. De plus, il en va du canon comme des machines de guerre à contrepoids : les clercs utilisent un vocabulaire très approximatif, ainsi une couleuvrine peut tout aussi bien évoquer un trait à poudre manœuvré à la main ou un canon ! Dans les années 1340 semble apparaître le veuglaire qui est toujours utilisé dans la seconde moitié du XVe siècle. Cette pièce est composée de deux parties : la volée et la boîte. Cette dernière, qui fait office de culasse mobile, contient la charge de poudre. L’ensemble est posé sur une solide poutre évidée, cerclée de fer. La boîte est maintenue en position par des coins de fer au moment du tir. Cette solution pose des problèmes d’étanchéité au niveau du plan de joint, d’ou des problèmes d’usure et une importante perte de rendement. Néanmoins, ce système est toujours utilisé dans la seconde moitié du XVe pour les pièces de petits calibre. Pour viser, il faut jouer sur l’inclinaison de la pièce à l’aide de leviers et de cales, on dit alors que l’on « affûte » la pièce, d’où le terme d’affût qui apparaît plus tard pour le châssis de bois supportant le canon. Le calibre de ce type d’engins ne semble pas avoir excédé les 200mm et le poids des projectiles, une dizaine de kilo, donc bien insuffisant pour être réellement dangereux contre un solide rempart ! Ce type de pièces est juste capable d’endommager des hourds, par contre il s’avère efficace contre le personnel. Les machines comme les trébuchets vont donc côtoyer les armes à poudre durant de longues années ! Avant 1370 l’apparition du canon n’aura que peu d’effet sur l’art castrale. En 1347 le règlement de Bioule et Montauban place les armes à poudre entre l’arbalète à un pied et la fronde ! Dans les années 1370 apparaissent les fameuses bombardes qui sont à même de tirer des boulets de gros calibre dépassant parfois les 100 kg. Ces armes sont coulées d’une seule pièce. En effet l’utilisation d’une boîte est rendue impossible par la pression des gaz au moment de la mise à feu. Ce sont presque des armes de dissuasion au même titre que les grands trébuchets mais leur prix est prohibitif et seuls les plus puissants peuvent en équiper leurs troupes. La logistique accompagnant ce type de pièces est conséquente. Ainsi juste pour leur transport, il faut compter une trentaine de chevaux et une petite dizaine d’hommes pour les plus grosses qui atteignent les quatre mètres de longs pour un poids de près de six tonnes comme le Mons Meg visibles aujourd’hui à Edimbourg. A Gand, on peut voir la plus grande bombarde ayant subsisté : cinq mètres de long pour un calibre de 65 cm ! Contrairement aux apparences, la cadence de tir peut être relativement élevée et n’envie rien aux trébuchets… Logiquement c’est aussi à cette époque que l’artillerie fait son entrée dans les châteaux pour en assurer la défense. Dans les premiers temps ce ne sont pas des armes de gros calibres. On multiplie donc les archères-canonnières (vers 1400) que l’on surmonte souvent d’une fente pour faciliter la visée, évacuer la fumée et permettre de tirer à l’arc ou à l’arbalète le temps du rechargement. Ce procédé simple est aisé à mettre en place sur une ancienne place. Afin de palier le poids élevé de certaines pièces et les problèmes de recul, on fixe des poutres en bois dans les niches de tir dont il reste encore les encoches visibles dans les parois. Les armes les plus lourdes y sont assujetties tandis que les plus légères qui vont faire des progrès significatifs fin XIVe, sont justes posées. On les appelle les « canons à main » ce sont des canons miniatures utilisables par un seul homme. L’arme à feu portative la plus ancienne se rapprochant de l’ancêtre du fusil a été découverte au XIXe siècle dans les ruines du château de Tannenberg détruit en 1399. Cette pièce de bronze à huit pans mesure 32 cm de longueur pour un calibre de 14,5mm. L’ensemble se monte au bout d’une pièce de bois. Ce type d’armes est souvent appelé « bâton à feu ». Il existe des modèles similaires en fer forgé mais la plupart des pièces utilisant cette technique sont cylindriques. Les pièces de petits calibres (15 à 20mm) sont rarement équipées du croc destiné à absorber le recul en posant l’arme sur un support, ce sont vraiment des armes portatives ! Des armes de petits calibres sont aussi utilisées grâce à des trous percés sous les allèges des fenêtres.

Fin XIVe- XVe : la pierre contre le fer

Les canons deviennent de plus en plus efficaces et faciles à déplacer pour les pièces de calibre moyen, la construction d’un château apte à résister à ces armes devient le privilège des plus puissants : rares sont ceux capables de s’adapter à cette course aux armements. Les châteaux dont nous allons parler font donc figure d’exception en leur temps. Nous reviendrons plus tard sur la mutation du rôle social du château. Les villes sont aussi des points d’appuis qui sont parfois solidement fortifiés dans les régions stratégiques. La fabrication de la poudre fait de gros progrès au XVe. En effet les différents éléments sont écrasés sous la meule et humidifié après mélange. Les galettes ainsi obtenues après séchage sont concassées et fournissent de gros grains dont la composition n’est plus altérée par le transport. La quantité de poudre non brûlée diminue et son rendement augmente considérablement : on fait ainsi 1/3 d’économie sur le volume de poudre utilisé. Cependant elle demeure une précieuse marchandise. Ainsi à Strasbourg au XVIe lors de la prise d’une place toute la poudre dans les tonneaux entamés est la propriété des artilleurs, ainsi que la cloche du tocsin et une prime équivalente à un mois de solde ! Et ce, tout simplement pour les dédommager de la part du pillage à laquelle ils n’ont pu goûter pour assurer la sécurité de leurs pièces… Les trébuchets disparaissent progressivement avec la montée en puissance du canon. Si les bombardes sont toujours utilisées, elles côtoient de nombreux autres modèles de pièces de plus petits calibres. On tend progressivement à rallonger le canon pour gagner en précision et à réduire le calibre du fait de l’abandon progressif des boulets de pierre au profit des boulets métalliques plus efficace. Ces améliorations permettent de réaliser des tirs tendus. En effet, l’utilisation des boulets métalliques est impossible sur les pièces de gros calibre. A titre d’exemple un boulet en pierre de 50cm de diamètre pèse approximativement 450 livres, le même en métal pèse 1400 livres, la montée en pression dans la chambre de combustion est donc d’autant plus importante et risque de provoquer l’explosion de la pièce. A partir du milieu du XVe siècle, on recommence donc à couler des canons de bronze d’une seule pièce, qui seront progressivement remplacés par des pièces de fonte quand ce matériaux deviendra plus courant. Cependant les canons ont souvent le défaut d’être lourds et peu maniables. On transporte les plus lourds sur de solides chariots ou des barges d’où ils sont déchargés avant usage ! Fin XVe le canon devient mobile avec le ribaudequin, pièce de petit calibre, monté sur roue. A cette époque les pièces d’artillerie sont coulées montées sur roue, dotées d’une poudre propulsive puissante et fiable, la visée fait de gros progrès. Ce sont de véritables armes tactiques à même d’appuyer et de suivre la troupe en toute circonstance, au contraire de leurs ancêtres qui après les premières salves souvent peu précises ne servaient plus à rien une fois la charge lancée. De plus, en cas de contre-attaque il est impossible de se replier avec ces pièces qui tombent aux mains de l’ennemi. Au XVI-XVIIe les artilleurs enclouaient (un clou est enfoncé en force dans la lumière) les canons qu’ils ne pouvaient emmener afin d’empêcher leur utilisation : cela se faisait-il aussi au XVe ? Une aire nouvelle est née : les architectes vont alors réagir et utiliser la nouvelle arme à sa juste valeur.

La Sape et la mine

La sape et la mine déjà très redoutées au XIIIe voient leur efficacité décuplée par les effets dévastateurs de la poudre. Lorsque la place est défendue par des pièces de calibre suffisant et qu’elle est dépourvue d’angle mort la vieille technique de la sape est périlleuse car le chat de bois et ses occupants risquent fort d’être « pulvérisés » avant même d’arriver à la base du rempart et d’avoir commencé à y creuser. Les fausses braies utilisées dès la première moitié du XIIIe se généralisent au XVe. Le principe en est simple : une enceinte basse est construite parallèlement aux courtines formant ainsi une plate-forme de tir rasant à la hauteur de la contrescarpe des fossés. A la fin du siècle elles sont souvent équipées à leurs bases de galeries de circulation à archères faisant office de galeries de contre-mine, qui débouchent parfois sur de véritables casemates comme à Beynes ou des caponnières comme à Bonaguil. Du fait des fausses braies, le sapeur a du mal à atteindre la base du rempart principal. En admettant qu’une équipe de sapeurs arrive au pied de la fausse braie, ils n’arrivent à faire sauter qu’une portion de cette dernière et pas le rempart principal, ces ouvrages permettant d’effectuer un tir rasant au niveau du fond des fossés gênent considérablement l’approche de l’ennemi. Le feu des pièces d’artillerie placées sur ces enceintes est à même de tenir à distance les sapeurs qui doivent creuser de véritables galeries. La technique de la mine s’avère donc la plus sure et la plus efficace contre une place moderne. Cette technique est plus longue à mettre en œuvre car elle consiste à creuser un tunnel jusque sous le rempart adverse en étayant soigneusement l’ouvrage. Comme pour la sape, le fond de la galerie est rempli de poudre qui en explosant cause de vastes brèches dans les remparts. La technique de la galerie de contre-mine se généralise donc à la fin du XVe, comme à Arques La Bataille ou des couloirs voûtés aménagés au niveau de la base des tours et des courtines permettent de détecter l’approche de sapeurs ennemis grâce à la vieille technique du baquet d’eau. Mais quand le danger se rapproche trois solutions se présentent : effectuer une contre-mine pour tenter d’intercepter l’équipe adverse ou réaliser une fortification rendant la brèche inutile ou enfin la plus sage, se rendre si des secours ne sont pas en marche… La largeur et la profondeur des fossés, augmentant du fait de l’apparition de l’artillerie, ne facilitent pas non plus la tâche des équipes de mineurs ! A titre d’exemple, les fossés de l’enceinte nord de Strasbourg font 14 mètre de larges en 1250 tandis que ceux à fond plat de l’enceinte de Krutenau font 27,50 mètre au début du XVe alors que des courtines ne dépassent pas les 10 mètres de haut ! Mais ce n’est pas tout, les murs sont de plus en plus épais : le rez de chaussée de certaines tours est plein comme celui d’un des donjons de Tonquédec ! Sur certaines places on utilise de massifs glacis pour renforcer l’assise des courtines comme sur la chemise du donjon de Vincennes. Lorsque les douves sont en eau la mine est impossible à mettre en œuvre pour des raisons évidentes ! Mais ce type de défense présente quelques inconvénients : l’eau ne fait pas bon ménage avec les maçonneries qu’elle tend à fragiliser, il faut alors apporter un soin extrême aux fondations…

Les vieilles idées ont la vie dure…

L’échelade est probablement la plus vieille technique utilisée pour franchir un mur et investir une place. La montée en puissance du canon tendra à rendre obsolète les vieilles recettes du XIVe mise au point contre l’échelade. A défaut de pouvoir empêcher l’échelade par la hauteur des murs qui va diminuer, on peut ralentir considérablement la progression de l’ennemi afin d’en faire une cible idéale. Les recettes employées contre la sape s’avèrent donc efficaces en cas d’assaut frontal. Lors de l’attaque d’une place, les fossés profonds et larges ainsi que les glacis ralentissent la progression tandis qu’un feu puissant vient des fausses braies à la hauteurs de la contrescarpe et du fond des fossés, le tout appuyé par les tirs des tours et des courtines : au moins trois niveaux de tirs ! Le déplacement rapide de la garnison permet d’assurer une défense encore plus efficace, l’assaillant n’a pas de répit. Certaines places comme la Bastille ne sont pas équipées de fausses braies mais de galeries d’archères cannonières à la hauteur de la contrescarpe, d’autres comme Bonaguil sont équipées de capponières au fond des fossés : ces rotondes de tirs sont plus simples et surtout moins chères à mettre en œuvre que les fausses braies, mais elles ne permettent qu’une défense ponctuelle comme à Tonquédec. Mais un assaut frontal nécessite toujours une troupe nombreuse aguerrie et bien équipée en machines de guerre afin d’affaiblir les défenses de la place ! Sinon cela tourne vite à la boucherie. Si la garnison est suffisante, déterminée et bien pourvue en vivres et en munitions, elles peut causer de lourdes pertes et empêcher l’approche de l’ennemi ! Encore faut-il en avoir les moyens ! Ainsi en 1378 le château de Brest occupé par les Anglais reçoit deux gros canons et deux petits, 600 boulets de pierre, 12 balistes, 4000 pioches et outils divers, 100 arcs et 300 faisceaux de flèches, des planches, des scies et des haches, 300 livres de salpêtre, 100 de souffre, 1 tonneau de charbon de saule, du ravitaillement dont du porc et de la morue salée. A titre de comparaison en 1448 les strasbourgeois envoient au château de Kochersberg 28 bouches à feu de différent calibres et 15 arbalètes. La plupart des nobles n’ont plus les moyens de supporter de telles charges, d’où l’intérêt pour eux, de bâtir de petites places, voire de ne garder le château qu’à titre de prestige et d’habiter un hôtel particulier en ville. Strasbourg est ainsi habitée par de nombreux chevaliers ! Les tours d’assauts semblent encore être utilisées au XIVe mais tomberont en désuétude avec la diffusion de l’artillerie à poudre. Il faut dire que ces engins massifs font des cibles monumentales.

Le mur face aux boulets

Pour résister aux canons ? on augmente l’épaisseur des murs, certaines vieilles places sont entièrement repensées pour l’artillerie comme Moncornet en Ardenne dont le vieux donjon voit son diamètre doubler tandis qu’on l’équipe de canonnières. L’essentiel de la place est repri au XVe-XVIe pour l’adapter à son temps. Sur les 59 canonnières de ce site attribuables aux campagnes du XVe, au moins 24 d’entre elles sont faites pour des armes non portatives (veuglaires et couleuvrines dont les fouilles ont révélé l’usage), 18 occupent les niveaux inférieurs. A partir des années 1440 la canonnière fait son apparition et voit de nombreuses tentatives d’amélioration qui aboutissent au modèle dit « à la Française » (vers 1470-1480) : ce type en « x » a l’avantage de donner une meilleure résistance au mur, d’améliorer la capacité de visée et de mieux protéger le tireur. Le canon devient un élément de défense important. Ces travaux d’adaptation atteignent parfois des sommes substantielles. Ainsi en 1429 et 1430 la modernisation du château de Poilvache sur la frontière Belge coûte 1596 livres au Duc de Bourgogne ! Il est aussi possible de rehausser le niveau de terre dans les cours intérieures ou simplement de rajouter des talus de terre au dos des courtines, permettant ainsi de faire d’une pierre deux coups avec la possibilité de mettre en batteries des pièces d’artillerie. Dans la citadelle de Ham bâtie dans les années 1470 les murs atteignent jusqu’à sept mètres d’épaisseur. Parfois comme à Rambure l’architecte a creusé de profonds fossés ainsi près de la moitié des courtines est enterrée et protégée du canon ! Le matériau employé peut aussi faire la différence, comme la brique qui face au boulet présente l’avantage de s’effriter au contraire de la pierre qui tend à éclater. Mais tous les châteaux ne sont pas en brique, car on construit avec les matériaux locaux afin de diminuer les coûts de construction - déjà à l’époque… On peut aussi renforcer la base des courtines par des talus très prononcés (encore appelés glacis) comme à Vincennes : ce dispositif en cas de brèche dans le rempart a l’avantage de rendre la progression de l’ennemi particulièrement lente et difficile si la garnison est nombreuse et bien équipée. Une autre solution consiste à bâtir des places tout en courbe comme Rambure ou la Bastille qui sont composées de « fagot » de tours n’offrant que des courbes à l’artillerie, ainsi les boulets tendent à « perdre » de leur efficacité. Le meilleur moyen de se protéger du canon c’est de l’empêcher d’approcher ! Pour optimiser la défense il faut aussi améliorer les flanquements mais aussi éloigner le canon de l’adversaire en élargissant les fossés et en utilisant des pièces de gros calibres ! A Fougères, on peut encore voir des tours à canon équipées de canonnières et d’une terrasse dont les voûtes sont à même de supporter des pièces d’artillerie de gros calibre capable d’empêcher ou de gêner l’approche de l'artillerie adverse. Ce type de tours en « U », aux murs très épais est équipé de canonnières donnant sur de petites casemates souvent fermées par de lourds vantaux afin d’isoler l’espace central. Ces casemates comportent souvent un réduit : il est couramment admis qu’il sert aux tireurs pour se protéger au moment de la mise à feu, pour ma part je pense que ce réduit sert aussi d’abri au tireur le temps de préparer la charge suivante (surtout dans le cas du système à boîte), de plus cela présente l’avantage de protéger le stock de poudre forcément présent : même s’il ne fait que quelques kilo cela peu s’avérer dangereux en cas de tir direct de l’extérieur. Les tours à canon s’imposent véritablement à partir du dernier tiers voire du dernier quart du XVe durant les guerres franco-bourguignonnes, franco-bretonnes et franco-espagnoles. Progressivement ces ouvrages vont voir leur hauteur diminuer jusqu’à deux étages sous le sommet des courtines : ce dispositif les rendant moins vulnérable à l’artillerie adverse tout en améliorant les capacités de visée des défenseurs.

La porte face au canon

La défense des portes déjà très évoluée au XIIIe ne fait pas de progrès spectaculaires aux XIVe et XVe siècles si ce n’est la généralisation des ponts-levis à flèche (plus rapide à manœuvrer que le pont-levis à treuil) à partir de 1360 et l’ajout de portes pour les piétons afin de limiter les attaques surprises trop massives. La herse jugée inutile du fait du pont-levis est souvent supprimée. Ainsi la porte du château de Brest construite en 1464 ressemble beaucoup à la porte de Laon qui défend l’accès au village de Coucy le Château construite en 1230… Si ce n’est le chemin de ronde sur mâchicoulis couverts visible à Brest ces deux châtelets sont forts similaires malgré les 234 ans qui les séparent. Cette absence de progrès notables s’explique aisément. L’utilisation du canon permet de faire le même travail qu’un bélier beaucoup plus rapidement mais ensuite il faut toujours combler les fossés et se ruer dans le châtelet d’entrée et ses nombreux pièges classiques : assommoir, meurtrières latérales et double porte. La meilleure protection pour la porte c’est donc d’empêcher tout tir direct. Pour cela on remet au goût du jour la vieille technique de la Barbacane. On élargit aussi considérablement les fossés afin d’éloigner le plus possible les canons ennemis et on intercale une barbacane encore appelée boulevard ou ravelin comme à Beynes qui en possède un magnifique exemple pentagonal casematé, équipé d’archère canonnières de deux ponts-levis et d’un accès voûté direct aux casemates du château. Les portes des barbacanes ne sont jamais dans l’axe des portes des châteaux, ainsi si le canon peut détruire la première porte il ne peut rien contre la deuxième. En effet après avoir détruit la première porte et s’être rendu maître de la barbacane l’assaillant doit y rentrer un canon et se mettre face à la porte, se retrouvant de ce fait à seulement quelques mètres des tirs du châtelet d’entrée : suicidaire… Les constructeurs du château de Lassay en 1460 ne semblent pas s’être préoccupés des effets de l’artillerie ! Aussi en 1480-90 une barbacane en « U » se terminant par un éperon est ajoutée devant l’édifice. De nombreuses canonnières la défendent ainsi qu’un chemin de ronde et une galerie de contre-mine. Dans certaines vieilles places modernisées comme Clisson où l’accès à la porte de la basse cour est « juste » battu par le feu d’une tour à canon en flanquement, un simple pont-levis et une bretèche, mais une fois dans la place l’assaillant doit affronter trois barbacanes successives pour arriver au cœur du château, la première d’entre elles du XIVe est déjà équipée pour recevoir de l’artillerie à poudre ! Mais attention peut être y-a-t-il eu une barbacane extérieure détruite depuis bien longtemps.

Le canon coûte cher à l’architecte et au stratège !

En 1386 les forces franco-bretonnes assiègent Brest mais n’osent pas tenter un assaut frontal contre une telle forteresse (qui ne sera déclassée qu’en 1921…). Les assaillants décident donc de faire le blocus de la place grâce à la construction d’une série d’ouvrages militaires. Deux bastilles sont donc construites, une en bois et l’autre en pierre flanquées de 7 tours ! Un millier d’ouvriers y ont travaillé pendant 19 jours sous la protection d’une forte troupe. Afin d’éviter tout secours par la mer, l’accès au port est fermé par une ligne de bateaux solidement amarrés entre eux et surmontés de tour équipé de machine de guerre, le tout recouvert de terre afin de limiter les risques d’incendie ! Tous ces travaux terminés, 300 hommes assurent la défense de ces ouvrages. Par malchance le Duc de Lancastre partant en Castille avec un fort détachement fait une halte à Brest et prête main forte aux assiégés et règle le problème en quatre jours… Cette place au combien stratégique sera disputée jusqu’en 1489, mais cette fois-ci se sont les anglais qui s’y casseront les dents : pourtant à cette époque le canon est déjà efficace. Au XVe le château bénéficie d’énormes campagnes de restaurations. En 1405 2600 livres y sont consacrées. En 1407 le capitaine de la place reçoit l’ordre de lever un impôt de six deniers par livre de denrées commercialisée sur les territoires dépendants du château et d’en consacrer les 2/3 à la restauration de la place : cela durera 4 ans. En 1424 des travaux menés afin de transformer la tour de la madeleine en tour d’artillerie coûtent 800 livres, une ancienne tour est chemisée, à la même période une partie des courtines est renforcée. En 1464 une magnifique barbacane couronnée d’un chemin de ronde à mâchicoulis et creusée de casemates est élevée, le coût des travaux est de 1800 livres, la même année le châtelet d’entrée est repris. La construction du château de Rouen coûte 14000 livres à Henri V entre 1436 et 1439. L’énoncé de ces quelques chiffre suffit à démontrer que rares sont les nobles capables de pouvoir se payer de tels travaux ! Pour les cités les sommes sont énormes du fait de la superficie à défendre, cela peut atteindre 60% du budget municipal comme à Lisieux dans la première moitié du XVe. Les villes les plus puissantes sont défendues par de véritables petites armées composées par des miliciens regroupés par corporation comme pour la République de Strasbourg. Ces troupes permettent à la ville d’affirmer sa puissance. En 1476 les Strasbougeois envoient 300 arquebusiers et 12 canons pour appuyer les confédérés Suisses à la bataille de Morat. A la même époque, durant les guerres de Bourgogne, Strasbourg achète des canons entre autre à Nuremberg, les plus gros sont affublés de sobriquets selon une vieille tradition locale. Certaines villes louent leur artillerie selon les demandes, comme elles le faisaient déjà avec les machines à contrepoids. 

Château mort ou château en mutation ?

En fait lorsque l’on parle de châteaux médiévaux on pense aux places berceaux de familles de chevaliers locaux. Construction hérissée de tours rondes, avec un gros donjon, une forêt de toits en poivrière, etc… Cette vision idyllique est bien loin de la réalité car à vrai dire, il y a de nombreux types de châteaux aux statuts très variés ! En effet à partir des années 1450 sous le règne de Charles VII et surtout de Louis XI s’opère une rupture entre les châteaux plus ou moins fortifiés, sièges de la noblesse locale, et ceux bâtis par la royauté dont l’objectif est de contrôler ou de protéger des territoires et pour cela d’abriter de substantielles garnisons, c’est le début des citadelles : elles sont à l’image d’un pouvoir central fort et stable qui s’appuie sur une armée de métier professionnelle. La construction de telles places coûte très cher sans compter qu’elles ne servent à rien si elles ne sont pas pourvues d’une substantielle garnison bien armée : ce phénomène apparu dès le XIIIe n’a donc rien à voir avec la montée en puissance du canon mais plus avec la professionnalisation de l’armée et l’affermissement du pouvoir central. Néanmoins ce pouvoir central ne met pas les nobles à l’abri de la vindicte d’une autre famille noble, d’une révolte de paysans ou de l’attaque d’une ville voisine qui peut agir très rapidement. Pour cela un bon fossé et un pont levis offre un abri relatif sauf dans le cas d’un conflit avec une ville puissante. Ainsi en 1386 les Strasbourgeois assiègent le château de Loewenstein et le détruisent en partie avec leur artillerie. A titre indicatif l’arsenal de la République de Strasbourg compte 336 bouches à feu en 1465… Un dicton du St Empire dit : « l’esprit de Nuremberg, l’artillerie de Strasbourg, la puissance de Venise, le luxe d’Augsbourg, la monnaie d’Ulm sont renommés dans le monde entier ». Les strasbourgeois comme les habitants de nombreuses villes commerciales n’apprécient pas les droits de péage imposé par les nobles et n’attendent souvent qu’un dérapage pour s’emparer du château du fauteur de trouble. Ce qui est paradoxal c’est que la Milice de Strasbourg comprend dans ces rangs de nombreux chevaliers ! Les citadelles construites aux frontières ou dans les territoires nouvellement conquis seront malheureusement, pour la plupart victimes de l’urbanisme comme à Bordeaux, et des deux conflits mondiaux comme Ham. Auxonne Salse et quelques autres font figure de miraculées. Certaines places anciennes sont de véritables dictionnaires d’architecture militaire comme Sedan ou Clisson qui fut fortifié du XIIe jusqu’aux guerres de la ligue ! Ces châteaux stratégiques suffisamment vastes pour recueillir de grosses garnisons sont adaptées aux progrès de l’artillerie et certaines ne sont déclassées qu’au XVIIe voire au XVIII-XIXe siècles ! Preuve que ces places sont loin d’être si faibles face à l’artillerie ! Dans la même lignée que les citadelles, on trouve les châteaux garnisons. Ces places basées en territoire ami sont des bases avancées destinées à abriter une garnison mais impropre à résister à un puissant siège. Pour héberger ces troupes les petits châteaux sont trop exiguës au contraire des villes qui vont continuer à être fortifiées jusqu’au XIXe siècle comme Charleville Mézière, mais nous n’en sommes pas encore là ! La cause de l’abandon de nombreux châteaux médiévaux n’est pas liée à l’apparition du canon mais plus à l’extinction des lignages et à la politique matrimoniale qui tend à augmenter la taille des domaines et du même coup à multiplier le nombre de places « fortes » dans les mains d’un même propriétaire, qui n’a pas forcément envie d’en assumer l’entretient. Ainsi de nombreux châteaux finissent en atelier ou en prison comme Dourdan, ce qui les protègera partiellement. D’autres moins chanceux finiront en ferme voire en carrière : si on ne peut pas les défendre la démolition évite que des bandits de grand chemin ou un ennemi potentiel n’utilisent la place. Durant la guerre de Cent Ans les Anglais détruiront de nombreuses places en Normandie, que ce soit pour des raisons d’obsolescence ou par manque d’effectifs.

Conclusion

Le canon au même titre que le trébuchet et le mangonneau a contraint les architectes à relever un défit qui a permis une évolution magistrale de l’art castral. L’artillerie à poudre n’a en rien sonné le glas des fortifications de pierre qui se sont parfaitement adaptées lorsque les propriétaires en avaient les moyens. En cette fin du Moyen Age, on revient à la notion de citadelle de garnison comme dans la Rome Antique… Le château répond à un rôle social et militaire. Le raffermissement du pouvoir central met fin aux guerres privées. La noblesse n’a plus besoin de bâtir des places aptes à soutenir un siège. La « Renaissance » et ses châteaux de plaisance vont bientôt voir le jour tandis que les citadelles dans une démarche de progrès constant vont se bastionner pour mieux résister à l’artillerie : mais c’est là une toute autre Histoire…

Texte de Pascal Gaulain